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21/06/2012

Petit malaise passager

Elle avait un patronyme qui invitait à se laisser porter par une vague sur les plages de Biarritz. Avec une particule, d'écume, de sel, des embruns, et des boucles comme une sorte d'invitation au voyage. En pension, elle allait de la fenêtre au lit et du lit à la fenêtre mais cela ne la gênait pas. Il y a des gens qui ont assez de rêves pour vivre dans deux mètres carrés. Peut-être était-ce un sorte de poisson rouge? Je sais qu'elle aimait Stendhal, ses orangers, son Lac de Côme et ses héros qui n'ont d'existence que de papier. Mais elle en avait parfois marre d'assister aux cours. Elle passait souvent une après-midi entière à lire une revue sur le lit de l'infirmerie. Elle est Dandy. Elle préférait raconter des bobards à l'infirmière que de subir le fil des jours. Si elle était un fruit, ce serait une clémentine, et si elle était ta mère, ce serait ta soeur. Je n'ai jamais compris qu'elle puisse vouer une passion à Charlie Hebdo. Qu'une fille lise un revue pareille me semblait la négation de la féminité, comprenez-moi, je suis pour la liberté d'expression, mais rien ne nous oblige à lire les élucubrations de soixantenaires barbus, cracras et avec des casquettes. Moi j'aurais lu **** à l'infirmerie. Elle aimait sûrement, comme Sagan, qui s'enfuyait sur les bords de Seine, profiter de "ces heures lentes et grises". Elle fumait cigarette sur cigarette. Est-ce un problème les cigarettes quand la chevelure virevolte comme une plage à marée haute?

Sinon ses mouvements de sourcils étaient fameux. Il y en avait un qui voulait dire "Ha bon", un autre qui voulait dire "Adieu". Et je pense qu'elle n'avait nulle idée des raisons de mes tremblements, tandis que je lui adressais deux mots le café à la main, quand je ne le renversais pas. Des fantaisistes tentèrent de lui faire croire à l'arrivée prochaine d'un Prince africain dans la pension, un certain Modeste Koulibali. Je n'ose croire à la beauté de son regard lorsqu'elle lisait les lettres. Cela donnait, je crois des formules du genre "Son excellence l'ambassadeur du Burkina Faso, vous remercie d'accueillir chaleureusement votre nouveau camarade Modeste Koulibali, titulaire d'une bourse supérieure, délivrée par le Chef de l'Etat et récompensant la haute tenue des résultats et sa propension littéraire etcaetera, etcaetera". J'aurais voulu être une petite souris pour voir à quoi ressemblaient ses froncements de sourcils à ce moment-là. Je me souviens d'une promenade en pédalos entre copains, "rame, rameurs, ramez" , amis, mais avec les pieds. Je ne saurais vous décrire son maillot de bain, parce que je regardais son visage.

Et d'une escapade magique, une après-midi, à la Bibliothèque municipale, passée à lire un roman de notre professeur d'Espagnol, en pouffant,  parce que bien avant Zone il ne contenait pas de ponctuation et ne racontait en une seule phrase que des choses horribles dont un enfermement dans une cave. Record absolu de froncements de sourcils, rires et le bonheur définitif de ne pas l'avoir embrassée.

21:56 Publié dans Portraits | Commentaires (2) | Tags : littérature, amour, sagan, océan, mer | | Digg! Digg |  Facebook |