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27/10/2017

L'entretien électrique, Dimitri Bortnikov

Face au Styx, éditions Rivages.

 

Face au Styx, paru en janvier, le nouveau roman de Dimitri Bortnikov, charrie des torrents d'émotions et remise la rentrée littéraire dans des cartons à chapeaux; cascade de rire et de larmes. À quoi bon la rentrée quand on a Shakespeare, Tolstoi et Bortnikov?  qui se paie le luxe de rédiger son deuxième roman en Français, après trois en Russe. Dans une langue frigorifiante. Un peu comme si, non content d'écrire dans celle de Molière, il la balançait dans la Volga.

Un jeune homme déambule dans Paris, fait face au quotidien, d'aide-ménager à traducteur, multiplie les rencontres foldingues, convoque les vivants et les morts et nous entraîne dans un voyage mystique et grotesque. Au terme des 750 pages, le lecteur exsangue, n'a qu' une envie,  l'interviewer au Café Odessa. Dimitri l'attend un expresso à la main.

 

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                                                                  Crédit photo, Igor Kov

 

Je ne crois pas une minute à l’appellation « roman » de votre texte et j’aimerais que vous défendiez cette appellation. Pour moi, vous avez écrit une autobiographie tellement folle que vous avez sans doute eu peur que personne ne vous croie.

Je ne suis pas Dieu pour qu’on me croit ,moi ! ni un voleur, moi ! je pense qu’il faut jamais croire…c’est un roman, point barre. de toutes façons, si je dis que tout a été inventé ou que tout est vrai, ce sera faux ! je crois simplement, en toute dimitritude –d’ avoir écrit un livre…  un gros livre, ah ça – oui ! pour le donner au monde… pour que le monde le lise et que, si ça lui tombe des mains - ça lui fasse très mal aux pieds !

Au début, si vous souhaitez que l’on parle de ma façon d’écrire, elle est aussi incroyable que le résultat. pour chaque pain, il faut avoir un four ! pour chaque saucisse… parce que les écrivains français font souvent des saucisses -  ils utilisent des moules, et moi je ne fais pas de saucisses, moi ! je fais des gros taureaux et il a fallu 8 ans, mon dieu… c’est un taureau de 8 ans, bon dieu ! un taureau tout à fait combatif, lui ! un taureau de Phalaris, lui ! Il m’a fallu 8 ans pour faire au début 8000 pages manuscrites ! mais c’est à ébouriffer les chauves, ça ! imaginez ! et puis – il a fallu les réduire à 3000 pages dactylographiées ! et c’est pas tout !  je les ai envoyées à mon éditrice… comment ? eh bah en  trois boîtes à chaussures ! pleines de pages. du coup elle n’a pas pu essayer ses godasses parce c’était trop ! même pour un régiment de Goliath !

Elle a suggéré de réduire à une seule boîte ! puis il m’a fallu tout mettre en ordre parce que j’écris par bribes. et puis – le pire ! j’ai dû imprimer 3000 pages et voir l’ensemble, mais en piles, en rames, je ne vois rien.  du coup, j’ai dû les coller quelque part…  j’ai été contraint de louer une petite chapelle désaffectée. je les ai collées sur les murs, sur le plafond ! partout ! j’ai pris un matelas, je me suis allongé au milieu de la pièce… une longue vue à l’œil ! et alors comme ça je lisais avec une longue vue ce qui était collé aux murs. j’ai fait  des collages, des coupes sur ordinateur jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une seule page sur les murs ni au plafond… un travail gigantesque, quoi ! c’est plus facile pour un ours pouilleux de baptiser chaque pou que de refaire ce que j’ai fait… 

Est-ce que votre éditrice vous a sauté dans les bras quand elle a reçu le manuscrit ?

Non, non, non ! elle ne m’a pas sauté dans les bras parce qu’elle avait les bras occupés ! elle tournait les pages, elle !

Quand vous racontez ça, avec votre longue vue, vous faites passer Flaubert et son « gueuloir » pour un collégien !

Flaubert c’est un grand romancier, qui, dans certaines pages de Mme Bovary, devient un grand écrivain. certaines pages seulement, sinon c’est un grand romancier, lui.  grâce à Flaubert et Proust j’ai compris la différence entre un grand romancier et un grand écrivain. Proust est au-delà des ordres, il n’est pas un écrivain bourgeois, lui ! grand jamais !  tandis que Flaubert le reste.

Un écrivain  russe n’est jamais un écrivain bourgeois : prenez  Dostoievski, Tolstoï, Cholokov…parce qu’un écrivain russe cherche autre chose, il ne cherche pas à gagner sa vie avec sa plume…il cherche à la perdre, sa vie ! à  la perdre le mieux possible! parce que les écrivains russes sont souvent des mystiques. Parfois c’est ennuyeux, ça… franchement, les scribouillards russes sont sérieux, mais oui, pire que les perroquets sourds à un  mariage de rossignols !  mais… mais…comme disent les évangiles « celui qui garde son âme la perdra et celui qui perd son âme la gagnera ». une différence primordiale entre l’écriture à la Russe et l’écriture à la Française.

Du coup, c’est pour ça que vous ne lisez pas d’auteurs modernes. J’ai lu votre livre de manière politique, comme une sorte de refus de l’égoïsme, un livre généreux, un livre sur l’accompagnement, aux antipodes de la production moderne ?

Il y a un engagement politique.. mais dites moi : quelqu’un  qui est bloqué en haut de l’immeuble avec une Kalashnikov et que tout le monde attaque doit se défendre. donc le personnage de ce livre est en quelque sorte au milieu du désert avec une kalashnikov mais c’est une kalaschnikov à eau !

C’est un pistolet à eau qui arrose et les bons, et les méchants. comme une espèce de gargouille, qui pleure sur les bons et les méchants, sur la gauche et sur la droite ! à la Léon Bloy ! mais bien rasé ! parce qu’ici-bas n’est pas le royaume du bien, le bien et le mal sont mêlés, donc pour qu’on  voit les fruits des bons et des méchants - il faut les arroser tous ! mais tous ! comme ça, à la fin des fins -  on reconnaîtra les tomates et les courgettes !

Donc à part offrir ce livre aux lecteurs vous écrivez sans but ?

Je ne suis qu’un œil qui voit au-delà de la pointe de la flèche, parce que pour un tireur français, le but c’est la pointe de sa flèche, pour moi ce n’est ni la pointe, ni la cible, c’est au-delà.

En vous lisant j’ai songé à Rimbaud qui dit : «  Le poète est voleur de feu  chargé de l’humanité, des animaux même ; et qu’ il devra  sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe."

J’ai pensé à ce passage, en me disant que votre narrateur, et votre auteur sont chargés de l’humanité tout entière.

Humanité ? je ne sais pas… mais chargé de l’humain – ça – oui ! très oui ! archi-oui ! l’écrivain parfois fait vibrer quelque chose en nous, sinon la terre pour que les mots dans notre tête se décollent et que l’on puisse faire passer une feuille entre les mots et ce que les mots doivent dire… je parle parce que je ne peux pas faire autrement, mais lorsque vous regardez les yeux d’un muet qui soudain a envie de dire quelque chose, vous comprenez à quel point votre désir de parler est nul à côté de son désir de verbe ! tout est là !  seuls le désir, la soif du verbe comptent ! le reste – c’est de l’eau pour arroser les culs-de-jatte en attendant que leurs pieds repoussent !  regardez les drapeaux…quand il n’y a pas de vent, le drapeau n’est pas animé mais dès que le vent se met à souffler - vous voyez le drapeau bouger. or vous ne percevez le vent qu’à travers le drapeau. le langage est le drapeau. le verbe est le vent. un muet est verbe,  mais il ne peut faire bouger le drapeau du langage.  un vent sans  drapeau…  et moi, alors ? ho ! je suis à la fois le drapeau et le vent.

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Dans le livre le  narrateur rend  hommage  à ses personnages, fait revivre des figures, mais semble avoir trop d’humilité pour prendre la parole à leur place.

Ho-ho… et puis quoi encore ! mais bien sûr, si l’on prend la parole, cela devient tout de suite de la littérature ! c’est une malédiction pour un écrivain de faire de la littérature ! imaginez que, vous êtes dans une pièce et vous êtes une mouche, et je ne sais par quel miracle vous avez réussi à mettre en route l’aspirateur ! vous avez écrit quelque chose… d’accord, et puis vous êtes publié ! le premier roman sort ! vous êtes une mouche et si vous continuez, vous serez aspiré par l’aspirateur et fini les raspapouilles !  avec le Syndrome de Fritz, j’ai mis l’aspirateur de la littérature en rut, moi ! même pas en route, en rut ! la littérature est en rut, elle veut être baisée, et que l’on devienne la littérature. moi je m’y refuse ! donc il faut battre de toutes ses ailes devant la bouche de l’aspirateur, pour ne pas être aspiré. pour rendre visible la différence entre la vision et la littérature.

J’ai vu que vous aviez écrit quatre autres romans, un en Français, trois en Russe, j’ai l’impression que le thème du précédent est très proche de celui-ci est-ce le cas des romans  russes ?

Oui, j’ai toujours voulu rendre visible l’invisible. j’aurai aimé être soit prêtre, soit médecin, soit peintre. peintre, je ne peux pas, médecin c’est raté, et prêtre…je suis mi-prêtre, mi-sage femme, moi. les prêtres vivent des morts, des baptêmes, mais il n’y en a plus des masses... moi je suis une sage-femme qui vit des morts, j’accouche les âmes.

J’ai été étonné d’une description d’accouchement, pas une description mais une référence à un accouchement, écrite comme si vous en aviez vécu plusieurs.

Mais oui, ma mère était comme la mère de Socrate, sage-femme, et je faisais des études de médecine pour devenir gynécologue ou obstétricien ! j’en ai vu plusieurs, j’ai vu l’accouchement de la foule des corps et des âmes, des morts-nés… des fausses-couches. des césariennes.

La mort est omniprésente dans le récit, est-ce que vous pouvez nous parler un peu d’elle ? Comment le narrateur fait-il pour résister à cette litanie du malheur qui parcourt le livre ?

Pour moi, c’était la question de pousser le langage jusqu’à l’indicible. la seule chose vraiment indicible - c’est assister à l’agonie d’un être vivant, moi-même, vous, les chiens chats, bêtes sauvages, domestiquées. au bout d’un moment j’ai voulu que le langage entre en agonie, et c’est au moment de l’imminence de la mort, que nous voyons le langage comme un dauphin sortir de l’eau et plonger pour de bon. le langage humain c’est le dauphin… un poisson qu’on ne voit jamais, nous savons qu’il est là mais on ne peut le découvrir que quand il disparaît, il disparaît au moment de la mort.

Le langage trouve-t-il au moment de la mort de quoi se ressourcer ?

Bien sûr, parce que vous sentez une présence surhumaine, autre chose que vous, plus grande, immense et à ce moment-là vous vivez véritablement.  et c’est pour moi le plus important en étant mystique du bout de mes pieds jusqu’à la pointe de mes cheveux ! je suis en chasse de cet état de grâce qui fait que l’on renaît avant de mourir… cette renaissance, la plus grande grâce qu’un être vivant peut éprouver. certains recherchent cette grâce dans l’amour, d’autres dans la drogue, l’écriture, mais pour moi si l’on peut ramasser toute l’activité humaine, c’est avant de mourir, avant de passer du mauvais côté de l’herbe, des pissenlits.

Quelle place vous donnez à l’humour dans cette façon d’accompagner la mort en permanence ?

Ce n’est pas l’humour : l’humour, c’est la joie versée dans un verre. la joie, elle est partout, elle ! mais si vous voulez boire la joie, vous êtes obligé de vous servir dans un réceptacle. ce réceptacle est l’humour ; on a envie de boire un verre de la joie -  on nous la sert dans un verre l’humour, mais si nous pouvions boire à la source ce serait la joie. parfois certain humour est plutôt le post-coïte de la joie.

J’ai lu un peu Gogol après nos discussions je trouve que c’est le roi du grotesque, de l’étrange, de la drôlerie. Vous aussi, mais vous, on a l’impression que c’est la condition humaine qui est drôle plus que le texte.

Oui, elle est hyper drôle, regardez les gens qui marche dans la rue, chacun dans son monde.

Des « Nez qui marchent » ?

C’est l’indifférence qui marche, tout le monde se fout de tout le monde, les gens marchent mais ce qui m’intéresse véritablement c’est la magie qui en découle. Tout le monde fait semblant de se foutre des autres… il suffit d’observer ce qu’il se passe ! ah je suis vicieux… le monde c’est une ruche gorgée du miel… mais moi – je suis un ours allergique à son miel !  faut voir le monde ! un moment donné il y a une telle harmonie de l’indifférence que vous voyez que toutes les voitures défilent à la même vitesse. les gens marchent ensemble à la même vitesse ; leur pas, leur visage, leur façon de parler au téléphone, leur façon de fumer est exactement la même et pourtant ils prétendent tous à être différents ! à être meilleurs ! à mériter quelque chose de plus que l’autre ! mais il suffit que quelqu’un tombe dans la rue… il suffit que quelqu’un dans la foule des marcheurs se mette à courir ! c’est fini ! leur vie est bousillée ! et le monde veut alors éliminer celui qui trouble l’harmonie des égos, bien dans leurs babouches ! il y a une très grande harmonie de la guerre, constante dans le monde d’aujourd’hui.

J’ai l’impression que vous avez une peur panique, de ne pas courir dans la rue, de ne pas gueuler, de ne pas déranger cette harmonie. Le rôle de l’écrivain est-il de déranger cette harmonie ?

Déranger je ne sais pas, car déranger c’est s’engager. moi – pas ! moi – pas comprendre ! toute ma vie je voulais être comme tout le monde, moi ! je voulais être non-présent… je voulais être encore plus anonyme qu’un souriceau de Notre-Dame, moi ! je voulais que les gens ne me voient pas ! surtout pas !  mais je n’ai pas réussi parce que pour devenir invisible, véritablement, il faut arrêter toute votre activité de présence, car votre présence, c’est votre activité. il y a toujours quelqu’un qui vous regarde, qui s’en fout de vous, de lui-même, de tout, mais qui vous regarde... celui qui veut être invisible finit par déranger, parce qu’à force il donne l’impression qu’il a quelque chose à cacher ! qu’est-ce qu’il a de plus pour ne pas vouloir être avec nous ?! merde alors ! pourquoi, il ne veut pas participer !? archi-merde alors ! pourquoi est-il toujours en marge ? pourquoi n’a-t-il pas besoin de nous ? pourquoi a-t-il les poches cousues ? nous on découd nos poches, nous ! on montre le fond de la culotte de notre âme !  et lui ? il n’a rien, lui ! ne demande rien, a les poches cousues, bouche cousue, tout !

Lorsque votre narrateur est hébergé chez une vieille dame ukrainienne, il est dans la disparition de soi, vit dans le sous-sol, a cette forme de tranquillité de disparaître du monde.

Ça c’est mon rêve, ça. c’est pour ça que je suis fasciné par la mort, parce que t’es tranquille après, vraiment tranquille, mais par contre il y a un piège, si jamais il y a quelque chose après la mort, c’est dingue, vous sautez de la soupe qui est la vie dans le cassoulet brûlant qui est la mort, là c’est… c’est l’enfer !

Ce serait emmerdant ?

Oui pour moi ce serait une catastrophe, ça ! cette tranquillité est l’absence totale quand personne ne se rend compte de votre mort, parce que personne ne s’est rendu compte de votre vie ! c’est ça qui est bien, que les gens vous oublient, cet état de paix intérieure, que les moines cherchent ici, mais qu’on ne peut en aucun cas trouver ici.

Mais votre narrateur ne s’efface pas. Il est en permanence présent aux autres, à ceux qui vont mourir, jamais dans l’effacement cynique.

C’est impossible de s’effacer de façon cynique… c’est une connerie, ça.  le cynisme a un arrière-goût d’amertume, une sorte de jalousie de la vérité. quand la vérité n’est pas bien née, n’a pas eu la gestation véritable, quand la vérité est mort-née, elle devient cynique, et moi je ne peux pas être cynique car dans le cynisme, il y a un manque, des regrets, des remords mort-nés. ceux qui meurent, envoient l’appel qui donne envie d’écouter ce silence qui précède la paix éternelle. pour moi la paix n’est jamais emmerdante. Pascal disait que toutes nos emmerdes viennent du fait que nous ne pouvons pas rester tranquilles dans nos chambres ; il avait raison !

J’ai été étonné par une tribune que vous avez écrite dans Le Monde, dans laquelle vous vous énerviez contre les écrivains  qui refusaient l’homophobie en Russie. Je ne l’ai pas comprise immédiatement, puis j’ai réalisé que ce qui vous inquiétait, c’était  l’uniformisation des comportements.

Il faut que tout le monde soit comme les Français. il faut que tout le monde bouffe la baguette par le bon bout ! il faut que tout le monde casse l’œuf sur notre bosse du travail ! il faut qu’on s’engueule, râle comme les Français, c’est ça la mission des nains auprès des Goliath, et si vous voulez péter parmi les nains – vous savez très bien - il faut s’accroupir !

Du coup vous êtes bien content d’avoir un nouveau Tsar qui affirme sa différence envers les Français ?

Bien sûr, je suis content de mes jumelles qui me permettent de voir que Poutine n’est pas seulement un dictateur, c’est un tsar, je suis content de ma lucidité, c’est une petite joie, mais j’en suis content !

Parce que la Russie n’a jamais été démocratique, c’est la continuation des Tsars, c’est Vladimir le Premier, il y avait Pierre Le Grand, Yvan le Terrible, Catherine II, Elisabeth Première, Alexandre I, II, III, Staline, Joseph Ier et demi ! Brejnev, toute une bande de princes, il y a maintenant Vladimir le Ier, ça va c’est la logique ! pourquoi exiger que les Russes deviennent d’un coup les Français ?

Est-ce que les Gaulois ont fait d’un coup la Révolution française ? je suis grand lecteur de Joseph de Maistre,  et lui… il a ouvert le tombeau de la Révolution française – il l’a fait visiter… un génie, quoi. Il a pu entendre dans les matins de la Révolution – son glas.  c’est lui qui a influencé Baudelaire, Flaubert et tous les grands contre-révolutionnaires.

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                                                                                                  Moscou, dans un parc

Dans les personnages du livre, il y a un personnage bouleversant qui est le « petit bossu », que le narrateur connaît dans sa jeunesse qui est le point originel, pour comprendre le désir mystique du narrateur, pour comprendre cette idée de traversée du Styx, de passer de la vie à l’au-delà.

Le Petit Bossu, pour comprendre ce personnage il faut relire les Confessions de Saint-Augustin, car Saint Augustin avait un ami, un grand ami, il a voulu le sauver, il n’a pas réussi, moi j’ai voulu le sauver, mais j’étais petit, je n’ai pas réussi. saint Augustin avait Dieu comme infirmier, moi j’aurais aimé l’avoir à mes côtés, mais à ce moment-là, je ne l’ai pas eu, j’étais seul, et il était condamné par la vie. une âme perdue, pas viable, condamnée à mourir.

N’est-ce pas ça la vie ? Accepter que les gens partent, sans aller contre ce mouvement ? Lui aussi a vu son frère disparaître et ne pouvait rien faire.

Oui, il ne comprenait pas ce qu’il se passait, quand vous êtes enfant, quand vous ne comprenez pas c’est une chose, quand vous comprenez c’en est une autre. le personnage du Bossu est une manifestation de la bonté absolue qui ne sert qu’à refléter la méchanceté et le Mal de l’homme. vous ne pouvez pas accepter que cette lumière disparaisse, parce qu’elle ne doit pas disparaître. vous êtes obligé de vivre avec la mémoire de cette bonté absolue.

De la joie mystique ?

Une joie que vous avez vue. tout le monde peut nier mais vous, vous l’avez vue. la présence d’une seule personne, qui a vu, change le monde et rompt l’unanimité. j’ai horreur de l’unanimité, toutes les lapidations viennent de cela ! et celui qui a jeté la première pierre le sait.

Dans le livre, un autre personnage m’a beaucoup plu, celui de Samourai, pourquoi lui avoir donné un nom de garçon ?

Parce que la folie nous retire notre genre, nous sommes autre chose, lorsque la raison perd ses repères, dépasse les bornes, perd ses garde-fous, la folie vous inonde, et la folie est unisexe, moi ce qui me réconcilie avec la folie, c’est que nous pouvons vivre avec. celui qui a peur de la folie deviendra fou. celui qui l’accepte peut la dépasser. La folie humaine c’est une sorte de voleur qui devient tyrannique, parce que vous avez peur de lui. un jour, à force d’avoir peur, le tyran vous cambriole, la folie change les serrures, mais si votre raison ouvre la porte et lui dit « viens il n’y a rien ici, prends ce que tu veux »  la folie va partir les mains vides et vous laisser plus riche que vous ne l’étiez… Samourai guérit, par amour, parce qu’il s’occupe de ce garçon, Cow Boy, plus fou que lui. Samourai a vu sa propre folie, quand Samourai voit son propre père au Japon il voit sa propre folie, son père qu’il n’a jamais connu, cette folie qu’il jamais regardé.

Qu’est-ce qui pour vous est le plus important, aimer ou manger ?

Aimer évidemment, parce que la seule petite chose qu’un être humain peut accomplir pendant ses 60 ans, c’est aimer. s’il est capable d’aimer, sa mort sera douce et le temps, fils de l’éternité, se penchera sur lui pour lui fermer les yeux. celui qui n’a  jamais aimer restera mort les yeux ouverts en pensant qu’il est vivant. nombre de gens ne savent pas qu’ils sont morts.

Un grand mystique disait que  « Si tu veux être aimé, aime ! »

Vous êtes chrétien ?

Oui je suis chrétien orthodoxe.

Il y a dans le roman,  cette  image de la Volga dont les blocs de neige craquent, la Russie vous manque-t-elle ?

Ce qui me manque le plus, ce n’est pas la Russie c’est la neige, cet état de la neige qui tombe, la neige allongée, la neige tranquille, la neige du dimanche. cet état me manque. et la Russie...vous savez que la surface de la Russie est plus grande que celle de  Pluton, donc c’est une planète, la Russie !  ça ne peut pas manquer, parce qu’elle est là ! il y a toujours la Russie quelque part… à la radio, à la télé, c’est impossible de la manquer. elle est là.

Un personnage est prénommé Ourson dans le texte. N’est-ce pas trop pas trop dur pour lui d’avoir un papa qui écrit aussi bien ?  qui doit avoir des états de transe quand il écrit et cloue des textes sur les murs d’une chapelle ?

Il sait que je l’aime plus que moi-même, il le sait, il le voit, le reste - c’est la vie quotidienne. il est plutôt content d’avoir un père bizarre, qui vient de la Russie, d’une autre planète, père bizarre, mais père-légende. il a quelque chose que les autres n’ont pas, beaucoup de parents veulent cela, mais ils ne peuvent pas, parce qu’il faut gagner sa vie, partir en vacances, moi je ne peux pas ça pour lui, mais je peux lui donner tout mon amour.

Dans le roman, le narrateur qui est aussi fils de son propre père, dont il a assisté à l’agonie,  jure « plus jamais la violence ». mais il s’y abandonne, devant son fils avec un clochard, la mission échoue, la violence est très dure à éliminer. pour l’éliminer, il ne faut pas  en avoir peur, la regarder en face et surtout, très surtout - ne pas agir, mais la voir, car notre peur de la violence produit de la violence.

J’ai été impressionné de voir que vous avez été dans la Légion  étrangère et ça ne correspond pas du tout au stéréotype que l’on peut se faire du narrateur.

Mais pourquoi ?

Pour moi nous lisons dans le roman, le trajet d’un homme qui fait face à la violence du monde et lui résiste. Loin de l’image d’un légionnaire ?

Mais les soldats qui partent en mission en Afrique, ils partent  pour l’éliminer par les armes, nous voulons tuer la violence, nous frappons quelqu’un qui frappe.

Pas d’autre technique pour l’instant ?

Si, il y en a, mais si on a besoin de protection, je vous conseille un gorille et pas une colombe.

Dans votre roman, le narrateur agite un cadavre pour faire peur au camp adverse. Est-ce que vous avez fait la même chose ?

Oh j’ai fait bien pire, ça c’est rien, c’est juste un bout de doigt, c’est rien ! c’est un petit bout de tissu, un petit bout de chair à côté du corps, mais j’avais 18 ans avec tout ce qui va avec, le désir d’aventure…

Vous avez bien rigolé ?

Parfois oui, ou non , mais c’était  ma vie. Et puis, entre nous, - les émotions nous occupent !

Je me suis demandé comment votre éditrice pouvait recevoir un tel texte et justement rester dans  son rôle d’éditrice, garder une certaine distance par rapport à vous.

Si vous êtes un éditeur, mais quel réaction auriez-vous ?

Moi j’adorerais.

Mais adorer, ce n’est pas  un mot, juste un étendard, mais il y a toute une armée d’émotions derrière, ce n’est pas un vers, on peut adorer un vers, juste un vers, un petit bateau, ivre ou sombre… tandis que là c’est une armada, il faut se protéger contre l’armada.

Est-ce que ça n’a pas été trop dur pour elle ?

Tout le monde doit se protéger contre la vérité, pour survivre, moi je ne vais pas continuer à me protéger de la vérité, c’est fini ça, fini pour moi la protection… la vérité artistique, ça vous fascine, ça peut vous entraîner là où vous n’êtes jamais allé, d’où mes découvertes de Bach, de peintures, ça peut changer votre vie, un texte. ce qui est important c’est de changer ma vie, pas celle des autres,  je ne suis pas un délivreur de message, je ne fais pas la livraison de colis, je fais ce pourquoi je suis né, le reste c’est à chacun de voir, mais le colis est là, emballé… ce n’est pas un colis piégé, ça ! ni un colis serpent ! plutôt un colis colombe et mon éditrice se nomme Colombani.

Un livre d’un personnage qui vacille. Un ami m’a dit « n’oublie pas que ce n’est qu’un texte », que cela ne reste qu’un texte.

Une cuillère c’est une cuillère… un livre ça peut devenir une  cuillère, et armée comme ça vous pouvez manger votre vie. il y a des gens qui préfèrent manger avec les mains. il y a des gens qui ont des cuillères qui s’appellent Mme Bovary, moi je m’appelle Face au Styx, c’est tout. et puis il faut être prudent !  la prudence ! l’accouchement d’un cactus ! et puis la discrétion ! on en a jamais trop !

Vous avez un livre en préparation.

Je suis épuisé comme un raton laveur qui vient d’inventer un lave-linge ! mais je ramasse des choses, pour mon prochain voyage de huit ans, pour inventer un nouveau lave-linge.

En vous lisant, j’ai l’impression que votre langue, une langue française devenue frappadingue, est une sorte de langue à mi-chemin entre Russe et Français. Est-ce que vous êtes d’accord si je dis que la structure du langage semble affectée par la structure du Russe. Une économie de moyens, disparition d’articles, de déterminants,  que l’on n’a pas en Français.

Ce n’est pas une économie de moyens. d’abord Proust disait que les grands textes sont écrits en langue étrangère. parfois j’ai éliminé les articles là où je sentais qu’ils pouvaient gêner la vitesse de la vision, parce qu’avant que la vision ne s’habille en phrase, elle disparaît. vous ne voyez plus que le vêtement ! vous ne voyez que le drapeau agité par le vent. je veux que la vision soit nue…  parfois les articles me gênent, comme d’ailleurs les majuscules qui sont les hauts-de-formes de la phrase. ce chapeau est la première chose que vous voyez, son absence permet de se concentrer sur la phrase, d’entrer dans le texte. nous ne sommes plus au XIXème siècle, la langue ne nécessite plus que l’on mette de couvre-chef ! et mes points d’exclamations sont des hauts-de-formes jetés par terre ! enlevés par le vent de l’émotion. la langue ne se déshabille pas toute seule… faut l’aider. gentiment.

Est-ce que cela correspond à la volonté que le texte soit un flux de conscience ininterrompu, et dans lequel apparaissent et disparaissent des personnages dans la conscience même.

Je ne dirais pas que c’est Joyce, Joyce, c’est hyper rationnel, tellement que ça devient presque mystique. pour moi c’est le contraire, il fallait s’arrêter chaque fois que la vision avait ses boutons de chemise ! quand vous nagez dans la Volga, vous faites corps avec elle et au bout d’un moment vous devenez la Volga. le poisson n’est-il pas l’eau vivante dans laquelle il vit !? parfois il saute hors de l’eau, mais l’eau sans poisson, c’est une mer morte… mer sans âme. Mon texte – c’est celui qui nage et l’eau. deux à la fois.

 

 

 

 

 

 

 

 

02/12/2014

Les grands Entretiens du mardi - Elie Guillou

 Elie Guillou sort un nouvel album cristallin intitulé Chanteur public, reste à l'affiche du conte Rue Oberkampf et continue d'animer son Lavomatic tour qui fait entrer la musique dans les sèche-linge. J'ai toujours rêvé de rencontrer Tintin, mais -Ho! surprise! - ce jour-là, il a une guitare. 

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Crédit - François Legeait  

Sur l'ensemble de tes expériences artistiques, je vois comme une tentative de redéfinition de la notion d'artiste. En la dépouillant du mercantilisme et par une forme de retour aux sources. Je voulais donc savoir quel est la définition de l'artiste ?

Il y a plusieurs choses : je me pose vraiment la question de la fonction de l'artiste. Ce qu'il est, je ne sais pas ; mais à quoi sert-il dans notre société? Est-ce qu'aujourd'hui, dans le mode actuel de diffusion des œuvres, on remplit les fonctions essentielles de l'artiste ? Je ne prétends pas être arrivé à une conclusion. Je fais comme tout le monde, j'ai mes petites obsessions et j'en fais des théorèmes qui n'engagent que moi. Quand même, je pense que l'un des rôles de l'artiste, c'est d'être le garant de la différence. Nous sommes tous porteurs d'une singularité mais le monde est souvent rétif à la singularité car elle demande un effort à l'autre, un effort d'adaptation. À mon avis, l'artiste a pour rôle de plonger en lui-même, de chercher sa différence la plus profonde de la brandir et la soutenir contre tout le monde malgré, semble-t-il, un phénomène de rejet. Plus on supporte une singularité et moins il est facile de la recevoir. "Pourquoi tu fais différemment ? Pourquoi veux-tu changer ? Tais-toi, chut!" Comme l'artiste est garant de la différence, il est garant de l'ouverture. À force de la soutenir, les gens qui sont confrontés à cette altérité, l'apprivoisent et enfin, s'ouvrent.

Du coup tu penses que le réseau et le mode de diffusion de ces artistes ne permet pas de d'exprimer cette différence?

L'industrie de la musique, c'est un lieu commun, est très formatée. Pour passer sur les radios nationales, une chanson doit durer moins de trois minutes trente, le refrain doit arriver dans les trente premières secondes, il faut qu'il soit repris au moins trois fois... Ces exigences, qui sont liées à l'économie, rendent les auditeurs paresseux et l'ouverture plus raide. Faire valoir un art et non une production est une chose difficile à faire entendre dans l'état actuel des choses. Autour de moi, tous  les artistes en souffrent.

Je constate une forme de modestie dans ta démarche notamment dans le Lavomatic Tour et dans ton expérience de globe-trotter, qui va de lieu en lieu pour faire connaître ta musique. Elle contraste avec certains termes que tu utilises. Dans une interview au Parisien tu parles "d'attentat culturel" pour le Lavomatic tour et il y a une chanson très belle qui s'intitule "Le Maquis mélodique ". Cette revendication de différence tu la portes finalement assez fort. Tu sembles moins lisse que ce que certaines expériences artistiques laissent paraître.

Lisse ou non, je m'en fiche. J'essaie d'exprimer qui je suis et de toute évidence, je ne suis pas un rockeur. L'image de l'artiste maudit ne m'intéresse pas du tout et j'essaie, dans la mesure du possible, d'être agréable avec les gens que je croise. Même ceux avec qui je ne suis pas d'accord...  À mes yeux, l'engagement n'est pas de dire « merde » en claquant la porte au nez de ceux qui nous blessent. Je pense que l'idéal c'est de garder la porte ouverte tout en ne lâchant rien sur sa singularité. Je n'y arrive pas toujours, évidemment, c'est une vision un peu idéale des choses mais c'est ce but-là que je poursuis. Pour parler concrètement : sur mon disque j'ai choisi de laisser aux chansons la durée qui me semblait nécessaire pour exprimer ce qu'elle avaient à dire. La majorité des chansons durent cinq minutes ou plus. Pour un passage radio, ça n'existe pas. J'ai aussi choisi d'aller au bout d'une vision poétique de la chanson ce qui rend certains textes un peu moins accessibles. On a choisi, avec Pierrick Hardy, de ne pas mettre de batterie etc. Tous ces choix sont faits pour renforcer l'expression mais ils vous éloignent forcément du marché, tel qu'il existe. En même temps je le savais avant de le faire donc je ne vais pas venir gueuler maintenant, je l'ai choisi.Ça ne m'empêche pas de regretter que toutes les expressions ne soient pas considérées sur un pied d'égalité.

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Dans le nouvel album, l'écriture est ciselée : tu dessines un paysage qui n'appartient qu'à toi. Des chansons d'une limpidité étonnante. Je n'ai pas trouvé de référence dans l'écriture. Je me demandais si tu ne voulais pas t'extraire de notre époque ?

J'aimerais bien que ce soit moderne mais ce qui m'intéresse dans les chansons c'est la part intemporelle des choses. C'est lié au fait que je suis très branché musiques traditionnelles. J'aime l'éternité qui s'en dégage. J'aime la musique traditionnelle quel que soit le pays : iranienne, brésilienne, italienne, bretonne... Je pense que ces moyens d'expression me touchent parce qu'ils sont antérieurs à l'industrie de la musique. C'est dur de ne pas opposer les choses, je ne veux pas pas être manichéen, j'aime aussi des disques très produits d'artistes pop ou électros : pour moi Björk... c'est parfait. Dans les chants traditionnels, il y a une forme de spontanéité, qui n'est pas "raffinée", en prise directe avec la vie des gens, leur corps, leur manière d'être. Dans ces chants-là, je trouve les expériences les plus fortes, les plus gros reliefs, des aspérités très marquées. Pour les textes, ceux qui m'inspirent le plus sont Léonard Cohen, Bob Dylan, cette mouvance...

On ne sent pas les influences, l'ensemble est vraiment singulier.

Quand j'écris, je laisse le sujet décider. Si on pense aux références pendant qu'on écrit, c'est mal barré.

Dans les billets que tu mets en ligne sur tes voyages, au Kurdistan, en Tunisie... Il y a un dialogue qui se noue avec la musique, je souhaitais savoir quelle langue tu parles quand tu es sur place.

J'adore apprendre une langue sur place, mais malgré mon fantasme de l'errance ultime, je fais  des voyages très courts. Un mois, c'est rien. J'adore apprendre un maximum de mots, c'est un gage de bonne volonté envers les gens qui t'accueillent. En général, l'anglais, des bribes de langue du cru et un traducteur font une tambouille acceptable...

Or, lorsque nous te lisons nous avons l'impression d'une compréhension et d'un dialogue immédiats, pouvons-nous l'attribuer à la musique? Cela fait partie d'un projet global?

C'est arrivé par hasard. Quand j'ai lancé ce projet de chanteur public, Gaël Le Ny qui a fait la couverture de l'album « Paris-Brest », m'a dit "Tu sais que chanteur public, c'est quelque chose qui existe chez les Kurdes ? Moi, j'y vais avec un autre ami photographe, tu devrais venir. » Je suis parti, j'ai découvert ces chanteurs et le contexte des Kurdes de Turquie qui sont vraiment opprimés  par le gouvernement. Ce qui m'intéressait c'était la musique, mais tu ne peux pas l'extraire du contexte kurde et de l'histoire des Kurdes. Ça ne pouvait que me toucher ! Un peuple qui est un peu le perdant perpétuel de l'histoire, qui n'a pas d'état mais qui refuse de lâcher sa singularité. Comme l'artiste. Une forme de métaphore de l'artiste. Nous ne refusons pas les autres, mais nous refusons d'être comme les autres. Je trouve ça très noble. Du coup, j'ai fait un transfert vite fait bien fait. Même Freud a été pris de court !

Tu parles de "Chanteur public", dans ce cadre, tu fais parfois des concerts à domicile. À quoi ressemble un concert d'Elie Guillou dans notre chambre ?

Il y a beaucoup d'artistes qui le font ! Comme les salles classiques sont de plus en plus difficiles d'accès, à cause de l'abondance des propositions, il faut bien inventer autre chose. Enfin inventer est est un grand mot... On s'adapte ! Organiser des concerts chez les gens est très facile. Il y a des réseaux de chansons en appartement. Ce qui est intéressant dans cette proximité, c'est que tu ne peux pas arriver avec une posture d'artiste ou de vedette, ce qui compte c'est qui tu es et ce que tu proposes.

La démarche du "Lavomatic Tour"s'inscrit dans ce sillage. Ce qui m'a passionné en la découvrant, c'est la modestie et la liberté qu'elle offre, tu peux aller jouer partout. Mais j'ai vu qu'il y a eu un échec cuisant à Athènes, est-ce que tu peux nous en parler?

Bon, tu vas dire que j'ai toujours la même grille de lecture du monde mais tant pis, c'est ma petite obsession... Voilà l'histoire : j'ai un pote, Rémy, qui a organisé un Lavomatic Tour à San Francisco. Je n'avais jamais pensé à le faire à l'étranger alors j'étais jaloux. Mais content ! Je me suis demandé pourquoi, effectivement, ne pas le faire à l'étranger quand l'occasion se présente. Cet été là, j'allais à Athènes, je disposais de relais d'artistes là-bas, il n'y avait plus qu'à proposer l'idée et le faire. Quand j'arrive sur place et que j'explique le projet, l'incompréhension est totale, proche du rejet. En fait, j'avais fait abstraction du contexte. En Grèce, personne n'utilise les laveries automatiques. Il y a plusieurs raisons mais en gros, c'est encore le rôle de la mère de s'occuper du linge. Même quand on a 45 ans, on va encore porter son linge chez sa mère, j'ai vu des tas d'exemples de ce type. Donc il est hors de question d'aller au Lavomatic. C'est vraiment pour les gens seuls, les pauvres, les immigrés... Pour un Athénien, c'est le repère de la Pègre. C'est presque déshonorant ! À Athènes, y'a deux ou trois laveries, malgré plusieurs millions d'habitants... Se rajoute à ça le marasme économique. Les musiciens galèrent suffisamment pour trouver concerts payés, ils n'ont pas envie de se dévaluer lors de concerts « pour rire ». S'ils jouent là gratuitement, pourquoi les paierait-on la prochaine fois? Bref, on m'a envoyé bouler. Ça a été une bonne leçon : on a une idée qui marche et on croit qu'elle peut marcher sur la terre entière. C'est le virus du magasin franchisé... Moi, j'ai voulu standardiser le partage et on m'a dit merde. Tant mieux. J'aurais au moins appris ça et passé de bonnes vacances à ne rien faire.


Je joue d'la mandoline (Bourvil) - Sylvain. 

Le Lavomatic Tour et la découverte d'un texte étonnant.

Durant l'expérience du Paris-Brest qui est encore différente du Lavomatic, c'est un voyage à pied, tu étais logé chez l'habitant? Était -ce naturel pour toi?

Ça dépendait des fois : habitants, hôtels, mairies qui accueillaient le spectacle.
Oui, c'est comme lorsque tu vas dormir chez un copain, sauf que c'est ton pote depuis une heure.

Revenons aux voyages au Kurdistan? Tes chroniques semblent douces-amères. Notamment celles qui traitent du camp de Domiz. Quelle était ta posture de jeune occidental dans un camp de réfugiés Kurdes syriens ?

C'est rare que quelqu'un aille là-bas sans y être obligé par son travail.... La plupart des voyageurs s'y rendent car ils sont dans l'aide humanitaire. Moi j'y suis allé presque par hasard. Au Kurdistan, on m'a dit "si tu cherches des musiciens syriens, tu en trouveras à Domiz." Je voulais faire un comparatif de la musique kurde dans les quatre pays du Kurdistan et la Syrie, je ne pouvais pas y aller. Une étudiante française m'a confirmé que les musiciens étaient nombreux dans ce camp et avides de rencontrer des visiteurs. Je l'ai ressenti, au début les gens se demandent vraiment ce que tu fais. Et puis le dialogue se noue. Je ne suis pas venu pour les sauver, ni leur renvoyer de la pitié... je voulais les rencontrer dans une situation qui m'est inconnue, sur laquelle je n'ai ni position, ni avis. Je suis resté trois jours, c'est très court, trop court, mais j'ai quand même réussi à organiser une scène ouverte sous une tente. Plein de gens sont venus, des enfants, des vieillards, des instrumentistes, une chorale, c'est devenu un moment de communion incroyable. Le fait d'avoir un regard extérieur leur faisait prendre conscience de la valeur de leurs chants. Entre eux, ils connaissent ça par cœur alors ça ne vaut pas grand chose. C'est comme un parisien qui chante du Piaf à d'autres parisiens, c'est chiant. Mais si vous mettez un Argentin comme public, Piaf redevient singulière. Bref, j'ai écouté leurs chants et j'ai un peu approché la réalité de leur situation. C'est ça que j'ai tenté de partager dans les textes. Le regard de quelqu'un qui est resté 3 jours. Rien de plus. Leur tragédie est hors de portée d'un individu seul, donc tout ce que l'on fait face à ça est dérisoire. Donner 1000 euros, écrire un texte, rester quelques jours pour aider... ça reste infime.  Alors, faute de mieux, on fait avec ce qu'on a... Des petits bouts de pansements.

Dans tes textes tu évoques le ressentiment de Sunnites en Irak ?

Je parle de ce que j'ai vu, c'est tout... C'est dur d'être catégorique. C'est l'axe du voyageur qui m'intéresse, je n'ai pas  un avis documenté, universitaire... Tout ce que je fais, c'est collecter des cas particuliers. Mais oui, semble-t-il, il y a comme un renversement des oppressions. Certains Sunnites travaillent au Kurdistan irakien, où ils sont assez mal considérés d'ailleurs, mais au moins ils sont en paix. À la chute de Saddam Hussein, qui était Sunnite, les Kurdes et les Chiites ne se sont pas empressés de protéger les Sunnites. N'est pas Nelson Mandela qui veut ! Les Kurdes, eux, ont obtenu une autonomie qui leur permet de se protéger des menaces extérieures et certains sunnites se réfugient chez eux...

As-tu l'impression que cette autonomie est une satisfaction pour les Kurdes ?

Oui, c'est une fierté incroyable. C'est difficile d'imaginer ce que ça peut être pour eux, qui se sont fait casser la gueule de tout les côtés pendant un siècle.

My sweet pepper Land qui se passe au Kurdistan turc donne l'image d'un peuple de maquisards pacifiques, cachés dans les montagnes, n'est-ce pas un peu idyllique?

Je dois dire que ça correspond un peu à ce que j'ai senti. Je n'ai pas vu un peuple conquérant mais un peuple qui cherche à assurer son existence. La première fois que j'y suis allé, il y avait des grèves de la faim dans le Kurdistan turc. 800 personnes, une grève d'une ampleur inédite. Les premiers grévistes sont allés jusqu'à 66 jours de grève. À 60 jours, la mort est proche... Il y avait d'immenses manifestations de soutien à Diyarbakir et à l'occasion de ces manifs, j'ai vu le déséquilibre du rapport de forces. Entre un gouvernement qui envoie ses unités anti-émeutes avec des canons à eau, des lacrymos.. et des gens qui se réunissent sans armes. Après, les kurdes ont une force armée, le PKK, que je n'ai pas vue. C'est une guerre larvée. Cependant le discours des responsables politiques kurdes et de la population n'est pas de faire la peau aux Turcs, je n'ai jamais entendu ça. Tout le monde à le même discours, où que tu ailles : "Nous voulons pouvoir parler notre langue, être des citoyens comme tout le monde. Avoir le droit à une représentation politique." On ne parle pas de revanche, malgré la colère et l'amertume.

Dans le dernier album, il y a une chanson qui s'appelle Vaï avec des connotations brésiliennes . Est-ce que tu as envie de voyager aussi en Amérique du Sud ?

J'y suis déjà allé, en vacances ! Rien à voir avec les canons à eau cette fois là... C'était musique et rhum blanc. Pour quelqu'un qui aime la musique, c'est un peu la caverne d'Ali Baba : une foule de musiques variées, très métissées, une musique actuelle très vive, dansante, une invitation à se réunir. La musique Brésilienne, j'en écoute tout le temps... Dans Vaï, deux vers ont été empruntés à une chanson brésilienne : Timoneiro de Paulinho da Viola. Dans mon Panthéon personnel, les artistes du Brésil figurent en bonne place : Renata Rosa, Milton Nascimento, Caetano Veloso, Lenine...

Ta marque de fabrique est la sobriété, or dans une chanson qui se nomme "Claquer ta machine" on sent le côté showman prêt à s'exprimer.

Cette chanson, c'est une blague. Une parodie d'une chanson de Christophe Maé. Le côté showman, je le découvre depuis peu. Pour le moment, je réserve cet aspect de ma personnalité à un spectacle qui se nomme Rue Oberkampf dans lequel je raconte mes débuts de chanteur avec beaucoup plus d'humour, beaucoup plus dans le show, plus expansif, tandis que mes chansons relèvent plus de l'intériorité, plus méditatives, tranquillement. J'ai les deux en moi et je trouve ça difficile de les faire cohabiter dans un même objet, c'est à ça que je travaille. Être entier. Si j'arrive à mélanger l'humour, la tendresse, la poésie, l'absurde, le show, la spiritualité Chinoise et le ping-pong rennais, alors j'aurais exprimé « Elie Guillou » mais j'en suis loin... c'est le ping-pong qui demande le plus de boulot.

Tes chansons contiennent une part de récit, mais exigent une qualité d'écoute plus grande que celle que l'on peut avoir quand on tombe par hasard sur un titre à la radio. Dans l'album précédent il y a une chanson que j'adore, très méditative, qui se nomme, "Il reste des choses à chanter".

Oui, avec la viole de gambe, la clarinette... ce sont des instruments très planants. On a choisi ces timbres là avec Pierrick Hardy, qui a fait la direction artistique du disque et qui a parfaitement compris la nudité et la souplesse du sentiment que je voulais exprimer dans les chansons. Je pense que ça colle avec une part de ce que lui-même tente d'exprimer dans ces compositions personnelles alors la rencontre a été assez évidente... Il a proposé des musiciens (Marie-Suzanne de Loye à la viole, Catherine Delaunay à la clarinette et Zé Luis Nascimento aux percussions) qui possédaient eux aussi ces qualités-là. Pour couronner le tout, l'ingénieur du son François Casays, a compris notre projet en un clic de souris et a traité l'enregistrement dans le même sens. À la fin, ça fait un disque avec une intention très tranchée !

Et pour t'écouter au plus vite ? 

On peut acheter le disque en le commandant sur www.elieguillou.fr. En concert, il n'y a pas de dates pour ce répertoire mais le conte « Rue Oberkampf », sera joué tous les mercredis du 14 Janvier au 25 Mars, au théâtre du temps à Paris.

13/04/2014

Les grands Entretiens du mardi de Pardie - Angie David

Des yeux bleus d'une clarté matinale. Lucides. Lorsque je me rendis au rendez-vous, j'avais en tête une image sulfureuse d'Angie, drapée dans une forme de parisianisme et de goûts des micros. Angie est Responsable éditoriale chez Léo Scheer, mais aussi Prix Goncourt de la Biographie pour un livre de référence sur Dominique Aury, l'auteure d'Histoire d'O. Elle récidive avec un autre récit de vie, celui de Sylvia Bataille, femme de Georges et actrice mythique de Partie de Campagne. La lecture aiguise notre curiosité : la biographie nous mène dans les alcôves du Surréalisme et de la bohème littéraire des années 1930, dont Angie David se révèle une évocatrice peu superficielle, directe et réfléchie. Je lirai ses prochains ouvrages.

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Bonjour Angie, vous avez obtenu le Prix Goncourt de la biographie pour celle de Dominique Aury, l'auteur d'Histoire d'O, et désormais vous publiez un roman biographique sur Sylvia Bataille. Qu'est-ce qui vous plait particulièrement dans ce genre ?

Je n'ai pas d'imagination, et j'aime parler de la réalité. Il y a plus de matière. Ce sont également des rencontres. Avec Dominique Aury, l'idée du livre s'est imposée rapidement. Je n'avais pas l'impression d'avoir en moi une œuvre, donc c'était une bonne porte d'entrée. Elle m'a permis de me mettre à l'écriture, de faire un travail de recherche – j'aime cela.

J'ai lu Sylvia Bataille comme une plongée passionnante dans la vie artistique et littéraire de l'entre-deux guerres. Parmi les écrivains que l'on croise dans le livre, quel est celui qui vous attire le plus ?

Ce serait difficile de n'en choisir qu'un seul, car il y en a beaucoup et ils sont quand même formidables, ce serait injuste ; mais ce n'est pas Bataille qui m'attire le plus : davantage Sylvia que Georges, les copains de Georges plus que lui-même, l'époque, la place des femmes auprès de ces hommes illustres. Je n'ai pas fait ça parce que je suis une fan de Bataille. Il y a peut-être, deux personnages que je préfère aux autres : Michel Leiris et Jacques Prévert. Michel Leiris est un écrivain assez peu connu du public, alors qu'il a joué un rôle très important dans l'histoire de la littérature et des sciences humaines, puisqu'il était anthropologue. Et Prévert, que l'on croit connaître, via les films ou les poèmes qu'il a écrits. On ne mesure pas à quel point, c'était un personnage extraordinaire, haut en couleurs. Nous en avons une image plus commune que ce qu'il était.

Il est effectivement présenté dans le livre de manière indépendante des groupes qui tournent autour de lui : il participe à tout, tout en gardant une forme de liberté. C'est le portrait en creux que vous suggérez. Il y a également une rivalité qui sous-tend le récit entre Bataille et Breton.

Oui, c'est le cœur, l'histoire du Surréalisme. Dès le début, il y a une dissidence dont Bataille va devenir comme le chef de file. En réalité, Breton énervait beaucoup de monde, mais avant Bataille, personne n'osait le dire ou former un contre-mouvement. Bataille va apparaître comme un outsider. Ils vont se détester. Breton est horrifié par la figure de Bataille : l'homme, ses écrits, sa vie. Comme Breton associait totalement la vie privée à l'œuvre, pour lui, tout était question de Morale. Évidemment, Bataille était complètement débauché dans sa vie et si extrême et transgressif dans son œuvre que, pour Breton, c'était l'homme à abattre. Bataille va rallier derrière lui un certain nombre de gens ; ça se joue au moment de l'adhésion au Parti communiste, qui va devenir le centre des débats, au sein du mouvement surréaliste. Savoir qui adhère ou pas. Est-ce qu'on a le droit de ne pas adhérer tout en restant membre actif du mouvement ? Ce sont des questions qui vont très nettement diviser le groupe, mais il y a aussi celles qui concernent « l'à côté » de l'œuvre. Par exemple, le rôle des activités dites « alimentaires » : on va accuser Desnos d'être publicitaire et journaliste pour vivre, et d'autres encore d'écrire des romans, ou de faire du théâtre comme Artaud. Le théâtre est une activité considérée par Breton comme « putassière », honteuse. Il n'y a que la poésie qui trouve grâce aux yeux de l'orthodoxie surréaliste, et donc Bataille incarne cette opposition. Le clivage est grand et détermine le paysage de l'époque.

Moi qui n'aime pas les textes de Breton, j'ai trouvé qu'il était représenté de manière particulièrement antipathique. Une forme de théoricien politique très moralisateur, c'est une figure que je pressentais et que vous soulignez.

Des artistes comme André Masson le racontent dans des entretiens, ils expliquent que leur « patron » était comme ça. Il y a eu toute une vague d'excommunications du mouvement assez choquante et des procès d'intention avec exclusions votées à la majorité, insultes, et en même temps c'est assez intéressant de voir à quel point ces gens prenaient la littérature au sérieux. Aujourd'hui nous avons du mal à nous représenter ces enjeux passionnels, c'est finalement assez sympathique, des gens capables de se déchirer pour des questions de peinture, de littérature, ou de poésie ; cette dimension-là m'intéresse.

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Et Sylvia est-elle libre ?

Oui, formidablement libre pour son époque, mais j'ai cherché à souligner que, aussi en avance fût-elle, elle ne réussit pas à s'émanciper totalement. Sylvia était une personnalité très forte, indépendante financièrement, c’est même elle qui a aidé Bataille tout au long de sa vie. Elle entretenait sa mère, ses sœurs et son frère, sa fille Laurence, qu’elle a eue avec Bataille. Et, en même temps, elle a souffert d’être délaissée par tous les hommes qu’elle a aimés. La liberté sexuelle profite davantage aux hommes, et les femmes ne sortent jamais complètement de leur rôle d’objet de désir. Sa carrière d’actrice révèle la même problématique. Le film de Renoir, Partie de Campagne, est un film inachevé, et ce qui est tragique, c'est qu'il ne sortira que des années plus tard alors que c'est son plus grand rôle. Les ténors de la littérature que Sylvia côtoie, en dépit de leur stature et de leurs déclarations, ne laissent à la femme qu'un choix par défaut : ils rêvent d'une femme au foyer, du repos du guerrier, ou d'une muse. Une vision en définitive très archaïque.

En songeant à ces conflits entre Bataille et Breton, et à votre activité d'éditrice, je me suis posé la question de savoir si Saint-Germain-des-Prés était un milieu violent.

Nous ne sommes pas à Saint-Germain-des-Prés, grâce à Dieu ! Nous sommes un peu des outsiders, en marge, chez Léo Scheer. Nous sommes installés à la Madeleine et nous nous sommes créés en 2000 ; en très peu de temps, nous avons fait parler de nous. En général, c'est un métier où il est long d'imposer sa marque. Les Editions Léo Scheer ont brûlé les étapes, nous sommes en quelque sorte des francs-tireurs, des anars qui ne peuvent pas plaire à tout le monde. Pas politiquement corrects. Nous faisons souvent des choix qui chagrinent l'axe Télérama-France-Culture, mais, en même temps, ils nous soutiennent aussi sur certains livres. Nous aimons éditer des auteurs qui dérangent, comme par exemple les Morceaux choisis de Marc-Édouard Nabe. Nous sommes très indépendants, même économiquement, nous n'appartenons à aucun groupe. C'est un milieu qui est tout de même très dur, les gens ne se font pas de cadeaux, j'ai toujours pensé que c'était proportionnel à l'absence de réussite économique. Comme il n'y a pas beaucoup d'argent, que ce n'est que du prestige, et bien on est encore plus méchant. Il y a des milieux comme le cinéma où il y a tant d'argent en jeu que l'on se tire un peu moins dans les pattes. Nous, ce n'est que de l'image, du prestige, de la réputation, une forme de noblesse de notre activité, ce qui fait qu’on ne permet pas d'accéder facilement à ce sérail. Il faut faire ses preuves, c'est long, assez laborieux, donc que les gens ont l'habitude de vous casser c'est un petit monde qui déblatère un peu ; mais bon ça fait partie du milieu, il existe comme tel, faut le prendre comme un jeu, comme une cour de récréation... Sans y prêter trop attention.

Vous avez une activité d'édition numérique désormais ?

Nous avons commencé en janvier avec le nouveau livre de Nathalie Rheims, Maladie d’amour. Certaines nouveautés sur lesquelles on mise particulièrement vont être numérisées. Par ailleurs, il y a 1200 titres en catalogue, donc nous allons également entreprendre de numériser le fond, composé de titres très variés et tous très intéressants : cela vaut le coup de les revaloriser.

04/11/2013

Les grands Entretiens du mardi de Pardie - Fred Bernard

Rose et l'Automate est le vingtième album jeunesse que Fred Bernard écrit avec François Roca. Le tandem ensorcelle les lecteurs avec ses histoires mystérieuses et sa sophistication graphique à couper le souffle. Fred publie également en 2013 des Chroniques de la vigne qui renouent avec ses racines bourguignonnes et qui s'adresse cette fois à un public qui a le droit d'acheter du vin dans les supérettes. Dans ses albums jeunesse, il refuse le simplisme et prend plaisir à réveiller l'adulte qui sommeille en chaque enfant.


Bonjour Fred Bernard, vous sortez votre vingtième album jeunesse avec François Roca, pouvez-nous nous en dire plus sur l'organisation de votre travail, comment vous partagez-vous scénario et graphisme?

Chacun sa partie. Nous procédons de la même manière depuis le premier album La Reine des fourmis a disparu. François et moi nous mettons d'accord sur un thème, une situation historique ou géographique, nous échangeons des idées de personnages pour moi, des envies de dessins pour François.  Nous en parlons aussi avec notre éditrice, Lucette Savier, qui donne son accord. Ensuite à moi de jouer ! Je dois satisfaire tout le monde et me faire plaisir. En général ça marche sinon notre association serait finie depuis longtemps. Mais ce n’est jamais gagné d'avance et nous avons dû abandonner une ou deux fois parce que trop mal engagé, ou parce que nous n'étions pas prêts. J'écris le premier donc, un texte non définitif, que je lirai à François, accompagné parfois de quelques croquis si nécessaire.
On en parle. Parfois, je retravaille un peu et quand tout le monde est d'accord, nous réalisons le découpage ensemble, c'est un moment très important, et je passe alors le relais à François.
François commence avec un plan précis, mais à lui de le modifier si une meilleure idée d'illustration lui vient en cours de route. A chaque doute, nous discutons et ça redémarre jusqu'à la fin où le texte sera encore poli et remodelé,  un peu en fonction de l'ensemble des dessins. Il faut que tout roule, glisse et semble être réalisé par une seule et même personne dans l'idéal. Autant avouer que nous sommes rarement satisfaits à 100% mais si nous ne sommes pas sûrs de nous, nous recommençons… 

Quelle part est réservée à l'infographie ? Dans des albums comme Anouketh ou Rex et Moi, le graphisme semble très "léché", sans scorie. Est-il purement numérique?


La seule part de numérique, ce sont mes textes… Toutes les illustrations de François sont réalisées à la peinture à l'huile. Les originaux sont d'ailleurs toujours vraiment plus impressionnants que le livre ! Il faut se précipiter quand une expo a lieu…

Le lecteur est également happé par l'originalité du récit. Et il me semble déceler dans vos albums un refus de la simplification que pourrait imposer la littérature jeunesse. Est-ce qu'une fois terminés vos albums gardent pour leurs auteurs une part de mystère?

Certains oui, et c'est volontaire, notamment ceux écrits pour les plus "grands",
je pense à Jésus Betz, L'Homme-bonsaï, L’Indien de la tour Eiffel ou La Fille du samouraï… Il y a beaucoup de choses hors-champ dans ces albums, et la plupart pourraient devenir des romans en y passant plus de temps, mais ce n'est pas notre préoccupation. On désire toucher les plus jeunes et leur donner envie d'en lire et d'en connaître plus, après cela. De devenir des lecteurs à vie ! Dès le début, nous avions envie d'histoires ni gentillettes, ni cousues de fil blanc, ni d'albums concept avec une petite pirouette à la fin… Pour ne pas lasser le lecteur d'abord et nous ensuite… Nous faisons de notre mieux pour garder cet axe quelques soient la conjoncture ou les déceptions commerciales liés à certains sujets abordés…

Mes garçons craquent pour Les Pompiers de Liliputia, que je considère comme un chef-d'œuvre de la littérature jeunesse, nous avons eu du mal à accepter que ce fût une fiction.

Quelle est la part de réalité de ce parc d'attraction new-yorkais ?

Merci ! Eh bien voilà, typiquement l'album qui fait "flop" ! Même si le livre à reçu le prix du meilleur album de l'année des Incorruptibles à sa sortie, il s'est très mal vendu, et pourtant nous sommes toujours très bien défendus par les libraires… Ce sont des centaines d'enfants qui avaient voté pour ce prix, mais dans le commerce, les nains ont effrayé les parents. C'est ce que nous pensons car en dédicace, face aux familles, nous avons souvent eu la réaction suivante : " Oh regardez, des enfants pompiers, c'est trop mignon !" Puis, "Ah, non, ce sont des nains en fait, c'est bizarre, pourquoi des nains, ça fait un peu peur les nains, non ?"



En fait nous n'avons pas inventer ces nains, j'ai juste imaginé le héros créant cette troupe de petits pompiers pour le spectacle, mais elle a vraiment existé. Dreamland, l'immense parc d'attraction aussi, le grand incendie de 1911 également, et ce sont les nains qui sont sortis en héros dans la réalité, il existe des photos d'aux dans la presse de l'époque, ils avaient sauvé leur quartier tandis que les vrais pompiers avaient échoué tout autour…
Un fait divers très américain qui a eu lieu à côté de New-York.  J'ai imaginé que le héros était le fils caché du maire de N-Y, mais ça, ça ne pose de problème à personne, le problème, ce sont les personnes de petite taille…

Comme l'Opéra de Paris, dans Rose et l'Automate, les lieux sont-ils tous des personnages à part entière de vos récits?

Merci pour cette question ! Ils ont primordiaux en effet, car j'évite les récits du
quotidien qui m'ennuient souvent personnellement… Donc je situe toujours mes histoires dans des lieux, des pays que j'aime, à des époques qui m'intéressent, mais pour y traiter de sujets qui eux, peuvent être quotidiens. Comme les problèmes de famille, de transmission, de handicap, de différence, de manque de confiance en soi… Et ces décors en général, c'est le pied total à dessiner pour François ! Les deux font la paire !

J'ai l'impression que les dessins somptueux des Pompiers s'inspiraient d'Edward Hopper, me fais-je des idées?

François est dingue de Hopper, et d'illustration et de peinture américaine en général… La plupart de ses maîtres ont vécu de l'autre côté de l'Atlantique. 

La Rose et l'Automate penche vers l'Expressionnisme allemand. Quelle serait votre référence absolue en peinture?

Je n'ai pas de référence absolue en peinture ni en littérature, je suis touché par beaucoup trop de choses et d'artistes. Pour Rose, François est parti de 400 photos prises dans l'opéra, et d'une de ses filles pour Rose, qui a posé pour l'occasion. Après le traitement les clairs-obscurs chers à François ont fait le reste…


Pour en savoir plus l'entretien fruité de Camille Emmanuelle sur les Chroniques de la vigne ...à la vôtre !

http://www.cestcamille.fr/redaction/enivre-moi/

12/07/2013

Les grands entretiens du mardi - Arnauld Champremier-Trigano

Créateur de Médiascop, Arnauld Champremier Trigano fut le Dir com atypique de Jean-Luc Mélenchon durant la dernière élection présidentielle.

Il est présent sur tous les fronts, des commentaires politiques sur les chaînes d’info jusqu'à l'écriture de web-séries. L’Agence, création loufoque, produite par CAPA, met en scène de faux communicants et de vrais membres de Médiascop. Vertiges du désoeuvrement  qui suit la campagne présidentielle, quête de nouveaux clients, propositions, catharsis.

Je suis heureux de vous présenter cet entretien, avec un quarantenaire pour qui la communication ne doit pas mentir et la politique rester l’affaire de tous.

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-Pouvez-vous nous présenter en quelques mots Médiascop ?

- Médiascop, c’est une agence de com qui a comme cœur de métier le repositionnement d’image…c’est-à-dire qu’on corrige une image, pour certaines personnalités ou organismes qui ont eu des « accidents ».

On la construit, pour des gens qui veulent gagner en visibilité, on la transforme, pour ceux qui veulent se repositionner. Des personnalités, des entreprises, des pays, des administrations, on va de la stratégie jusqu’à la fabrication des outils.

- Vous n’avez donc pas que des clients issus de la politique ?

- La plupart de nos clients n’ont rien à voir avec la politique et par hasard il se trouve que nous avons actuellement pas mal de clients sportifs. La fédération française d’athlétisme…Jean-Marc Mormeck champion du monde de boxe. Nous sommes sur des profils très différents. Et comme nous sommes fidèles politiquement à nos idées,
le front de gauche n'est pas la famille politique où il y a le plus d'argent.


- Vous avez dit au détour d'une intervention qu'il y a une époque où les hommes politiques étaient vendus comme des yaourts ? Vous pourriez nous donner un exemple?

- Oui. ça me fait de la peine mais Mitterrand ! Génération Mitterrand, La campagne de 1988 avec Séguéla. Pas de message politique, donc on vend le produit le packaging,

19 88 c'est une campagne très marketing, la campagne de Chirac aussi, ce sont des campagnes où il n'y a plus de fond, que de la pub, et ceux qui gèrent ces campagnes-là sont des publicitaires... qui vendaient des yaourts avant. Comme Séguéla, qui, par ailleurs, est passé de Mitterrand à Sarkozy, détente...

-Sur la fonction présidentielle, elle a été désacralisée par Sarkozy entre autres, il a utilisé un langage, très direct, assez fracassant, parfois sincère, parfois non, c’était le cas, du moins ai-je trouvé, dans la campagne de J.L.Mélenchon, il y a ce parler vrai, très direct, dans l’immédiateté, n’avez-vous pas l’impression que cette immédiateté peut être un danger, à long terme, au niveau de la crédibilité de l’homme politique ?

- C’est le rapport au temps qui est en jeu ? Comme dit Virilio l’accélération du temps conduit à augmenter la probabilité d’accidents…et la violence des accidents ! ‘C’est vrai en mécanique, c’est vrai socialement, c’est vrai politiquement. Mécaniquement, on a les crash-tests pour voir quel est l’impact de l’accident, socialement, sociologiquement, politiquement, ça n’existe pas. Donc on continue à accélérer tous les jours un peu plus, et l’on s’aperçoit au détour de l’histoire que les accidents sont de plus en plus violents, et qu’aujourd’hui une phrase peut être une déflagration et faire s’effondrer un type, je pense par exemple, à l’interpellation de Bayrou à Cohn Bendit quand il l’avait attaqué sur la pédophilie, interpellation d’une très grande maladresse, cela l’avait beaucoup abîmé et pour longtemps. Cette accélération du temps fait qu’il y a des accidents plus graves et Twitter en est un bon exemple, puisqu’on est en temps réel et l’impact est instantané, il y a des twitcides tous les jours !

-JL Mélenchon utilise-t-il vraiment twitter et se branche-t-il le soir sur Facebook ?

- Non, il n’a pas touché à Twitter durant la campagne, il ne connaissait pas, il n’a demandé qu’un seul tweet ! Avant de démarrer la campagne il disposait d’un compte Facebook qu’il gérait lui-même et donc on lui a « retiré », le mot est fort, mais on l’a « déchargé » de cela…Et je ne crois pas que ce soit lui qui le gère aujourd’hui.

- Est-ce que vous savez si les politiques savent dire non aux agences de communication ? Est-ce qu’ils résistent facilement aux propositions de leurs conseillers ?

-Hé bien, oui, il y a une défiance du politique vis-à-vis du communicant à juste titre, parce qu’il y a chez les communicants une dérive de spin doctors ou de gourous qui pensent que la communication est plus importante que la politique ! Or la communication doit servir le politique, il y’en a certains qui pensent que la communication prend le pas sur le reste. Les hommes politiques s’en méfient plutôt et ils ont raison.

- J’ai entendu, quand vous analysiez avec Jacques Séguéla l’intervention de François Hollande, sur BFM je crois, vous avez proposé que François Hollande assume son identité sociale démocrate, est-ce que le communicant est là pour que le politicien fasse son coming out et soit dans la sincérité ?

- Ce n’est pas très honnête de ma part de donner un conseil à François Hollande ! Un je ne suis pas son conseiller et deux je n’en suis pas tout à fait sûr. Ce n’était pas une offre de service, tout le monde l’a bien compris…

Un des problèmes de Hollande aujourd'hui c'est qu'à vouloir une politique sociale-démocrate qui devient évidente et à continuer à avoir une posture socialiste, il déçoit l'électorat socialiste Front de gauche et de gauche qui se retrouvent dans ses mots et pas dans ses actes. Il se prive d'un soutien du centre qui voudrait s'identifier dans ses actes mais qui ne se reconnaît pas dans son discours.
Moi je disais qu'il a tout à gagner à assumer sa position, parce qu'il récupérerait très vite le centre, qui serait content de le voir assumer la sociale-démocratie et, deux, il aurait une vraie marge de manœuvre pour expliquer à sa gauche pourquoi il agit comme ça. Là, il est dans une quadrature, il est coincé.

Je pense qu'en communication politique le mensonge est intenable.
Il faut être au plus près de ce qu'on est, de ce qu'on pense. Après, tout n'est pas bon à dire, il faut éclairer des aspects plutôt que d'autres et c'est notre travail de voir ce qu'il faut valoriser ou mettre en retrait, mais en aucune façon on ne peut mentir, ça se retourne systématiquement contre nous. C'est notre communication, mais ce n'est pas le cas dans toutes les agences, par exemple, Euro RSCG avec Stéphane Fouks a théorisé la stratégie du mensonge...c'est-à-dire qu'on décide de sa vérité comme si il en existait plusieurs, et on l'assène tous les jours à coups de formules, d' éléments de langage pour que ça rentre bien dans le crâne du public.

-Comme Kinder surprise est bon pour la santé?

- Voilà, ce sont des stratégies de marketing. Nous, nous avons vraiment renoué dans cette campagne avec la tradition du mouvement socialiste, avec les drapeaux, les mythes, les meetings, tout ce qui était la tradition de la communication depuis l'affaire Dreyfus, les grandes marches, etc. On a fait l'impasse des années marketing et Séguéla, des années 1980-1990, jusqu'à aujourd'hui, et on a récupéré dans les années 2000 tout le savoir-faire des mouvements, Indignados, Printemps arabe...Comment ils utilisent le web...On a fait cette jonction entre le web du XXI eme siècle et la tradition du mouvement socialiste du début XXème.

- Je lisais dans Libération que vous avez passé au shaker la communication habituelle de l'extrême-gauche avec les rassemblements 2.0, le mégaphone, les web-séries...Est-ce que vous avez l'impression d'avoir amené à la politique des gens qui ne s'y intéressaient pas?

- Déjà, je relève juste le mot "extrême-gauche"..Je ne me sens pas du tout d' extrême-gauche, c'était une campagne socialiste au sens historique du terme. Oui je pense qu'on a touché des gens nouveaux, c'était l'objet de la web-série, elle touchait un public plutôt habitué aux séries, moins de quarante ans, urbain, Csp + qui ne se serait pas engagé, qui a pu accrocher et rentrer dans une narration qui n'était pas la narration traditionnelle. Avec l'appli mobile on a invité les gens à jouer. Puisque c'était sous forme de gaming, les gens ont répondu présents : c'était plus ludique et puis surtout on a décloisonné. Tout cela c'étaient des signes pour casser le carcan dans lequel on était coincés, c.-à-d un candidat d'extrême-gauche.

Parce que quand on démarre la campagne, c'est cela! Estimé à 2%! Quand on commence à bosser avec Jean-Luc le premier sondage est à 2 et tout le monde en parle comme du candidat d'extrême gauche...il fallait péter ça ! C'était très archaïque, très ringard et pour le casser on a embrassé tous les outils de nouvelles technologies possibles et imaginables, avec une liberté incroyable, même si, parfois, ils n'étaient pas utilisés. Les gens pour qui le discours auparavant était inaudible se sont dit « ce n'est pas tout à fait l'image qu'on avait de ces gens-là, y compris ce dircom barbu avec ses grosses lunettes », tout ça fait que l'on a cassé les stéréotypes.

- Est-ce que vous pensez qu'à long terme on peut réconcilier les deux branches du socialisme, la branche sociale-démocrate incarnée par Hollande et celle plus à gauche incarnée par JL Mélenchon ? Et remédier à la défiance de l'électorat ?

Fondamentalement, il y a une différence plus grande entre Mélenchon et Hollande que celle qu'il y avait entre Miterrand et Marchais! Puisqu'en 1981, dans le débat entre le Ps et le Pc la question était "jusqu'où on va dans le socialisme?" Dans les graduations dans les nationalisations, or aujourd'hui on n'est pas du tout sur ça ! On est sur deux directions différentes et un choix : de la rigueur imposée par l'Europe ou de la relance keynésienne, la réponse de gauche traditionnelle.
Et de ces deux orientations découlent toutes les politiques, donc il ne peut y avoir d'entente tant que cette question-là n'est pas tranchée. Je ne désespère pas qu'un jour Hollande se dise "cette politique de rigueur que nous impose l'Europe est une catastrophe, pour les peuples". On a vu ce que ça donne en Grèce, en Espagne, donc on va choisir une autre orientation qui est de réinjecter de l'argent, de faire de l'emprunt, d'assumer cette différence-là. Et en plus nous ne serions pas isolés, oui dans ce cas-là il y a un champ possible, de gestion, de politique commune. Je serais plus étonné, qu'à l'inverse, le Front de gauche se réveille un beau matin en se disant "Tiens la rigueur ça à du bon, allons-y, égorgeons tous les services publics..!"

- Si l'on considère qu'il y a une crise de confiance qui conduit à la montée de l'extrême- droite, est-ce que vous pensez qu'il y a une véritable façon de gouverner au niveau européen ?Est-ce qu'on a des marges de manœuvre?

Oui, on en a plein, parce que ça s'appelle la politique! On fait ce qu'on veut en politique. On parle de Mandela : quand l'Afrique du Sud a dit "on a un problème avec le sida" et qu'ils ont décidé de faire des médicaments génériques pour la trithérapie, l'organisation mondiale du commerce a répondu "Vous n'avez pas le droit!" Réplique des Sud-Africains : "Hé bien on s'en fout", ils l'ont fait quand même ! Et tous les interdits qu'on nous pose sont surmontables par volonté politique! Et généralement, ce n'est pas le cataclysme annoncé...On a voté non au Traité constitutionnel, on nous affirmait que si le Non l'emportait on allait enjamber les corps dans les rues et que les cadavres allaient joncher le sol, il ne s'est rien passé, d'ailleurs, ils l'ont refait passer, détente, juste après. Donc c'est uniquement une question de volonté politique.

- Pour la recrédibiliser, il faut mettre en œuvre ces marges de manœuvre?

Il faut nettoyer la politique, je ne reviens pas sur Cahuzac, mais ce sont des traumatismes lourds. Je veux bien qu'on soit dans une phase de nettoyage, ce qui est possible, ce qui peut être un des paris de Hollande, mais la période est très discréditante pour l'ensemble de la classe politique. Il faut aussi faire de la politique en conviction et non en carrière. Proposer des choses...et je pense que l'un des problèmes, ce sont les technos, c'est-à-dire que les énarques sont faits pour gérer l'existant, pas pour imaginer le lendemain!
Lui redonner moins de technicité, plus d'inventivité et d'humanité.



-Est-ce que vous pensez que la politique reste un métier noble pour l'ensemble des politiciens?

- Moi j'ai toujours pensé, pour en avoir fait longtemps, qu'il y a deux motivations :
- le goût du pouvoir,
- le sens de l'histoire.

Alors, elles ne sont pas forcément flatteuses, l'une comme l'autre, il y a un côté orgueilleux. On sent chez les hommes ou femmes, l'envie de prendre les postes quoi qu'il arrive, chez d'autres l'envie de s'inscrire dans une histoire! Et de se dire, au final, je serai dans un livre. Moi j'ai toujours été plus sensible à la dimension historique. Je pense qu'ils mixent les deux : qu'à des moments de la vie, le goût du pouvoir prend le pas sur le sens de l'histoire. Le début de l'engagement : souvent par conviction, avec ce rapport à l'histoire et au collectif. Puis après on s'embourgeoise.

- Mais il y en a qui rentrent directement par goût du pouvoir...?

Typiquement à l'Unef, c'était le sens de l'histoire qui nous motivait, or quand je suis arrivé comme jeune assistant parlementaire...j'en ai vu beaucoup débarquer au Sénat ou à l'Assemblée que seul le pouvoir fascinait...

- Dans la web-série l'Agence, vous brouillez les frontières : il y a des comédiens, des membres de Médiascop, une véritable agence de documentaire CAPA. Est-ce facile de faire la différence entre ses idées et celles de ses clients?

C'est le problème qu'on pose dans la série, on se pose tous les cas d'école qui pourraient nous arriver en tant qu'agence de com, moi j'avais une fable qu'on m'a racontée et qu'on racontait et que je racontais aux jeunes militants à l'Unef.
Ce sont trois petits bisons qui paissent dans une prairie et qui se disent : "Mais pourquoi on va toujours vers l'Est et jamais vers l'Ouest? ... alors que les prairies sont plus vertes?
- Il faudrait changer la direction du troupeau ! Pour ça, il faut prendre la tête du troupeau!"

Alors pendant des années, ils vont manger, forcir, grossir, pousser, pousser les autres, et un jour, ils deviennent trois gros bisons. À force de pousser, paf, les voilà en train de courir et ils se retrouvent à la tête du troupeau, et ils courent comme ça à l'est, et il y en a un qui dit aux autres : " Qu'est- ce qu'on fait-là? On est devant, là, les mecs ???
Le deuxième répond : "On tourne vers l'Ouest?
- Oui mais si on tourne, c'est quand même con, ce serait dommage que les autres ne nous suivent pas..."

Tout l'enjeu est là, la fin, les moyens...On aimerait faire des campagnes de JL Mélenchon, tous les ans, mais il n'y en a pas chaque année, et entre-temps il faut bouffer....... La période est compliquée et si le Qatar nous propose une mission, qu'est-ce qu'on fait? On y va, on n'y va pas ? Toutes ces angoisses nous nous les sommes posé, la série a un côté très cathartique !

 

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                                                                                              Dans la prairie


- J'ai bien aimé dans la série un passage où vous essayez de faire payer la directrice de l'agence Capa, la vie d'une agence, est-ce difficile au point qu'il faille emmener les clients jusqu'à une tirette avec un pistolet sur la tempe?

Elle n’est pas forcément de tout repos.

Alors, c'est la vraie directrice de CAPA, qu'on a dans le bureau à ce moment-là, qui avait vraiment acheté la série, qui ne savait pas ce qui l'attendait en venant. Un happening : quand on lui prend son sac et qu'on lui dit « va à une tirette, je crois tu peux tirer jusqu'à 3000, on te rendra le sac quand tu reviendras... »  

- Vous avez dans l'équipe une certaine Sophia Chirikou, elle est petite mais elle peut tout?

-Chikirou (moment de solitude de l'intervieweur) mais oui, mes enfants l'appellent Kirikou.

-Dans la web-série il y a un concours de lancer de Chipsters, « comme dans The Office », selon un communicant de l'agence. Quand vous avez une idée ou une bêtise qui vous vient en tête, vous avez toujours une justification intellectuelle?

- On théorise tout, tout le temps, et parfois, j'avoue, à posteriori! Mais là, c'était plutôt par souci d'honnêteté. On a vraiment piqué l'idée à The Office! Il y a un des épisodes de la Saison 4 qui s'ouvre comme ça ! Et j'avais trouvé la scène tellement drôle et tellement réalisable pour nous, que je me l'étais noté cet été et on la remise dans le scénario. On ne craignait pas de procès mais c'était incorrecte de la piquer sans citer...Finalement la citation montrait bien le côté looser de l'équipe, dont le patron ramène des idées vues dans des sitcoms américaines, pour occuper les troupes qui n'ont pas de boulot la journée!

- Pour terminer, une petite référence à votre patronyme, vous auriez une suggestion de destination pour les lecteurs?

- Moi je vais en Grèce, je pense que c'est pas mal, ils en ont besoin, et ça reste une destination formidable!


 

27/04/2013

Les grands Entretiens - Stéphanie MACKENZIE, photographe

Stéphanie Mackenzie a exposé successivement à New York, au Canada, à Londres et au Marché d'Art Contemporain de Paris. Issue d'une famille d'artistes, balayée par le vent de l'histoire yougoslave, elle a fait ses premiers pas auprès de son grand-père.

Dans la lignée du Pop art, ses photos mettent en scène des modèles égarées dans un arc-en-ciel de collages numériques. Cependant les clichés qu'elle assemble ne puisent que dans le réel. Découverte d'une discrète voleuse de couleurs.

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Stéphanie, parlez-nous de la photo qui a déterminé votre vocation ?

Une photo de Mona Lisa, un projet d'université, c'est à ce moment-là que j'ai trouvé mon style. Je dessine depuis l'âge de cinq ans. A l'université, je photographiais, réalisais des peintures et des sculptures , en cours d'art fondamental. J'ai fait un choix. Mon professeur m'a affirmé que la photo était un bon axe.

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                                                              Mona Lisa

Je qualifierais vos oeuvres de "collages photographiques extravagants", est-ce que ce terme vous convient?

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                                                            Kiss me blue

Oui, au départ je crée un dessin, un schéma, un canevas précis, choisis le thème, ensuite je recherche un modèle qui peut convenir. J'adjoins plusieurs de mes clichés. J'effectue des collages numériques. Kiss me blue, le modèle, ne travaillait pas en agence, je trouve cela plus intéressant. J'utilise des éléments disparates de la réalité, des clichés d'Elis island et autres. Parfois je fais appel à la location de studio mais nombre de mes photos sont prises en extérieur.


Vos séries mettent souvent en scène des modèles très sexy, pouvons-nous les qualifier de pin up?

Oui, tu peux les qualifier de Pin Up sous l'influence notamment d'Helmut Newton.


Vous aimez particulièrement Alice au pays des merveilles ?

Oui. Ce thème me plaît. J'ai créé à Londres un solo show de peinture en 3D sur des clichés photographiques imprimés. Je cherche une galerie pour être résidente.

(NDLR : Stéphanie Mackenzie a déjà exposé en France au Marché d'art contemporain de la Halle Freyssinet.)

Nous pensons immédiatement au Pop Art, est-ce votre principale inspiration?

Mes références sont Andy Warhol, Dali, Roy Lichtenstein, il y a beaucoup de couleur, tous trois sont "outside the box", ils dépassent les marges, depuis petite j'aime avoir un monde différent, m'exprimer différemment.À 15 ans le livre de Lichtenstein, a été un choc.

Mon grand père était peintre et il créait le design d'objets en cuir.il les fabriquait, il peignait dans le style de Renoir, nous dessinions ensemble.il a connu mes photos. Mon arrière-grand- père avait également cette sensibilité artistique.

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Vous refusez, semble-t-il, l'abstraction?

J'aime tous les types d'art comme source d'inspiration.

Les clichés sont saturés de couleur, et c'est ce qui fait leur force, pouvez-vous nous faire rentrer dans le secret de fabrication d'une de vos photos?

Le choix de couleur est naturel, mais compliqué par ordinateur. Avec une base, c'est plus aisé, mon canevas est très précis, au crayon, après je le peins, puis il sert de fondement à mon collage photo.

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N'avez-vous jamais songé à prendre des photos documentaire?

J'ai arrêté car ma mère est inquiète! Mais je donne un pourcentage de mes clichés pour des œuvres caritatives. Je prends quelques photos non retouchées. Des bédouins, un peu triste, des enfants sans nourriture. Nous ne nous rendons pas compte de notre chance. En Colombie, les gens refusent qu'on les prenne en photos.

Les photographes que vous admirez définitivement?

Helmut Newton mais aussi Richard Avedon pour le fond blanc, la tessiture ancienne, ils sont "edgy" a bit crazy.

(NDLR : l'une des traductions de edgy  est "énervé" au sens large)

Merci Stéphanie. Retrouvez les clichés sur le site officiel :

http://www.dekafoto.com/Site/WELCOME.html










30/03/2013

Les grands Entretiens du mardi de Pardie - Olivier BKZ

Olivier BKZ, auteur téméraire, nous suggère comment subsister d'amour et d'écriture. Il se paie le luxe de réactualiser les clivages littéraires. Nous nous prenons à rêver. Quelquefois, dans la nuit noire, nous sommes percutés. Interview d'un écrivain électrique.

Olivier Bkz vous vous autoproclamez écrivain survivaliste? Pouvez-vous donner votre propre définition du survivalisme? En quoi cette philosophie est-elle séduisante
?

En réalité c'est parti d'une blague. Un ami japonais (bien que caucasien à l'extérieur) me qualifia un jour «d'écrivain survivaliste» pour rigoler, et j'ai gardé, même si mes textes n'ont que peu de rapport. Dans mon esprit il y a comme une notion à la fois sérieuse et grotesque, un peu comme ces types se réclamant des situationnismes, des post-modernistes ou de je ne sais quel cercle artistique aussi vicieux que minable !
Mais du coup je me suis intéressé au survivalisme, et j'y ai découvert un monde tout à fait fascinant! Plein de gens persuadés d'une fin du monde très proche - dé-normalisation est le terme survivaliste professionnel – et qui se mettent à construire des bunkers dans leurs jardins, y entassent pâtes et soupes lyophilisées. Certains publient même des vidéos sur internet où ils y expliquent, au milieu d'un tas d'armes de guerre, comment défendre son domicile, sa famille, ses enfants et son chien.
Mais il y a quelque chose dans le survivalisme que j'exploiterai surement un jour de manière plus littéraire. Une forme de folie authentique et nouvelle qui s'est développée subrepticement, surement due aux crises économiques. Si l'on exclut les survivalistes centrés sur les armes et l'auto-défense – délire paranoïaque ordinaire -, beaucoup de survivalistes passent un temps incroyable à faire des vidéos, ou tenir des blogs, pour expliquer comment faire un feu, trouver de l'eau potable, se soigner etc...
Je trouve cette folie attendrissante, car elle a pour but de sauver des vies en réalité, de vaincre la mort.

Quels seraient les ingrédients d'un bon roman survivaliste?

Bah... Je me suis fait atrocement chier en lisant «La route» de McCarthy, j'avais envie de me tuer à chaque page, mais en me faisant souffrir en plus. Pour un bon livre survivaliste dans les règles de l'art, je choisirais Ravage, de Barjavel, et «Je suis une légende», de Matheson.
Une autre façon de voir les choses serait de considérer le terme sur-vivalisme ou sur-vivant, c'est à dire des personnes «vivant plus que les autres». C'est sous cet angle détourné que l’on peut voir du sur-vivalisme dans mes textes.

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Parmi vos textes lesquels conseilleriez-vous à nos lecteurs?

C'est dommage, au terme d'une crise de rage sans précédent je viens d'effacer mon blog littéraire, y a quarante-huit heures! «Possession»! Une nouvelle dont j'ai terminée la relecture aujourd'hui et envoyée à mon agent. Il s'agit – dans mon travail de nouvelles – de celle qui constitue l'aboutissement de près de quatre ans d'écriture. Ça ne veut pas dire qu'elle est bonne, mais qu'elle représente pour moi une étape importante. Bien sûr je t'informerai de sa sortie si sortie il y a.

Vous êtes par ailleurs le roi de l'humour grinçant et du second degré? La vanne dont vous êtes le plus fier?

En réalité je ne suis pas très fier de ça! Mon agent (littéraire) me le reproche souvent! Disons qu'entre mon travail d'écriture «sérieux», parfois j'ai besoin de décompresser. C'est comme une cour d'école, j'écris sur les réseaux une colère trop vulgaire pour servir à quoique ce soit dans mes textes. Malheureusement, beaucoup qui ne me lisent pas me réduisent à ça.
Bon pour répondre à ta question, à propos de ce ****d'Andy Vérol j'avais écrit «son œuvre se résume à des histoires passionnantes de clodos qui s'enculent sous des ponts d'autoroute. A part ça? L'histoire de mémé aux vergetures qui suçait sa bite quand il avait six ans.»
Je crois qu'elle était bonne, cette vanne, rapport à la réaction de ses amis qui en rirent beaucoup!

Est-ce que votre humour vous a déjà valu des déconvenues?

Des menaces de main-courante ou d’appeler les flics en privé, quand sur les réseaux les mêmes me promettent de violentes raclées. J'attends toujours! Ce ne sont que de vieux toxicos, un ramassis d'ivrognes bouffis! Pourtant, j'aimerai tellement qu'ils aient le courage de prendre ma vie! Au moins, j'aurais une fin digne, et alors je pourrais rectifier de l’au-delà: «ouais, finalement ces types étaient bien d'authentiques écrivains, et pas seulement de vieux renifleurs de chattes!»

Votre référence littéraire ultime?

C'est une référence de lecteur et non d'auteur : Phèdre, de Racine. Pour le fond, une histoire d'amour incroyable. Pour la forme aussi bien sûr, quand l'art s'élève si haut que le lecteur se retrouve avec quelque chose d'absolu, l'aboutissement d'une écriture qui devient tout, de la prose, du roman, du théâtre, de la poésie...

Vous vivez la nuit, à quoi ressemble une nuit de Bkz?

J'écris la plupart du temps. Ou je passe mes soirées en compagnie de belles beautés. J'ai décidé il y a quelques années de ne garder que deux choses dans ma vie, l'amour et l'écriture. C'est la même pulsion, en réalité.
Sinon je sors avec mon agent littéraire et ses lardus, des femelles aussi sexy que scandaleuses. Avec elles on essaye de trouver des soirées où se saouler à moindre frais, danser de manière grotesque et afficher nos mauvaises manières.

Votre agent est une pièce maîtresse de votre dispositif littéraire, parlez nous d'elle!

Mathilde Gibault. Elle est en réalité attachée de presse pour le cinéma. A ses heures de loisir et la nuit, lorsque je l'exige, elle a pour obligation de s'occuper de ma carrière, de la relecture à l'envoi de mes textes à quelques singes d'éditeurs ou gens médiatiques. En échange je lui reverserai trente pour cent de mes gains brut (brut et non net, c'est important de le préciser).
Mathilde bah... Oui, c'est une foutue pièce maitresse!
Sans elle je serais déjà mort trois fois alors, j'imagine que si un jour mes textes rencontraient la gloire, elle serait la seule à en retirer le moindre mérite. Elle est bien sûr plus qu'un agent, c'est un archange qui veille sur moi. Je pense parfois aux écrivains d'antan qui se trouvaient isolés, je les admire et je les plains. Je ne sais pas comment il est possible d'exercer ce métier de cinglé sans une protection divine de grande ampleur.

Vous pourfendez comme un pirate l'écriture des bons gros papas? Nous ressentons votre haine de l'écriture bourgeoise mais peut-on encore être subversif ?

En réalité la subversion n'a aucune importance. Lorsque je parle de bourgeoisie, je ne désigne pas un quelconque niveau social, même si j'ai pu constater dans les soirées d'éditeurs que les écrivains français publiés semblent génétiquement issus de la bourgeoisie.
La bourgeoisie dans l'écriture, c'est l'idée (en France) que seule une écriture nombriliste et dépressive correspond à une certaine forme d'art. Les séquelles de Céline, une même blessure rouverte par Houellebecq. L'année dernière un écrivaillon ne pouvant être qualifié de bourgeois m'écrivit un mail où il m'expliqua que je n'étais pas un «authentique écrivain», mes personnages faisant trop la démonstration de leurs sentiments et passions.
C'est très important cette philosophie, parce qu'elle modèle aujourd'hui le paysage littéraire français, et par-delà notre réalité. Le dégoût du sexe, de l'autre, de soi ou du monde, la dépression, se contrôler et taire ses sentiments, la prétention, n'éprouver aucune passion... Quand tu aimes et qu'elle part, je peux t'assurer que tu te traines à ses pieds dans la rue comme une merde en lui criant «je t'aime!» Quand t'as pas bouffé depuis trois jours, je peux te garantir que la première personne qui te croise en te demandant «ça va?» tu lui réponds «non, j'ai faim!». Pour celles et ceux qui n'en seraient pas convaincus, je les renvoie à Racine justement, Sand, plus un tas d'autres auteurs français qui travaillaient sur les «passions de l'âme», ou bon nombre d'auteurs modernes mais étrangers.

Choisissez deux livres à mettre à la poubelle, lesquels?

Pour rester dans la thématique le dernier Nicolas Rey racontant sa dépression et sa désintox.
Ensuite, je dirais un de Debord au hasard, parce que j'en ai ma claque d'entendre des mecs incapables de trouver leur trou du cul réciter du Debord.

Le projet qui vous tient le plus à cœur?

Faire publier la nouvelle de quatre-vingt pages dont je te parlais, Possession, et puis surtout finir ce premier foutu roman, «Ash t'es mon rêve américain», il ne me manque plus grand chose.
Pour celles et ceux intéressés par les vannes, il y a ce tout nouveau blog dédié à ma sauvagerie.

http://inpugwetrust.wordpress.com/





*** censuré par l'auteur du blog

28/03/2013

Les grands Entretiens du mardi de Pardie - Victoria Olloqui et Sandy Besse

Toutes deux sont réunies sur les planches, dans Une Nuit au Poste, où deux jeunes femmes que tout oppose sont contraintes de cohabiter en garde à vue. La pièce d’une vraie sobriété évite les écueils du café-théâtre et emporte l’adhésion par la justesse de l’interprétation.

Après avoir tourné pour Jean-Pierre Mocky et joué dans des pièces d’Harold Pinter, Sandy Besse s’apprête à faire chavirer Le Cœur des hommes en Octobre 2013.

Victoria est au casting de Turf, de Fabien Onteniente, avec une distribution de purs-sangs, Edouard Baer, Alain Chabat, le comédien russe Gérard Depardieu.

Vous la croiserez dans les spots de l’Opel Corsa où, sous l'oeil de Klapisch, elle oeuvre au rapprochement franco-allemand. À moins que vous ne préfèreriez la radio où elle tire à vue sur le Père-Noël à grands coups de pastilles rock.

Interview deux en une, et pétillante.

 

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Mise en scène de Jérémy Azencott,  Création lumière David Négroni.


Vous êtes à l’affiche d' Une nuit au poste. La pièce a été représentée à Avignon, avez-vous un souvenir marquant, à deux ou individuellement ?

Sandy - Ah ! Il y en a beaucoup !

Victoria- C’est la première fois qu’on prenait part à Avignon, donc on débarquait…Le souvenir marquant, c’est la première  journée d’affichage…Elle était assez folle si tu ne l’as jamais vécue…On vous donne un « GO ! », tout le monde s’élance. La mairie impose un horaire une semaine avant. Les gens le respectent assez. Ils attendent 13 heures sur le bord des rues avec des affiches et des échelles, et en une heure il n’y a plus d’espace dans Avignon.

C’est la conquête de l’Ouest ?

-Oui, c’est tout à fait ça. C’est fou à voir…Et la ville du coup ne ressemble plus du tout à ce qu’elle était.

 Sinon la première !!!... On ne connaissait pas beaucoup de gens à Avignon.

Sandy-  Nous n’avions pas la possibilité de faire venir les amis, la famille : mais comment les gens vont-ils venir nous voir ? Qui va prendre la peine ? Et la première était complète, nous étions derrière dans les coulisses, nous voyions à travers  un tout petit trou qui nous permettait d’observer l’assistance, et nous nous disions : « Mais qui sont ces gens qui sont venus pour nous ?

 Nous étions choquées ! C’est un bon souvenir…

Comment envisagez-vous chacune votre personnage ?

Mon personnage s’appelle Isabelle, c’est un  rôle de composition, je n’ai jamais fait de garde à vue, ce qui me touche dans ce personnage ce sont ses blessures, son parcours, finalement son côté humain, ce huit-clos fait qu’elles sont ramenées à l’essence de ce qu’elles sont, aux valeurs humaines, chacune a l’impression que ce qu’elle vit est unique et chacune se rend compte que non, qu’il est possible d’avoir une souffrance peu importe le rang social ou la situation familiale qui est la nôtre.

Est-ce que Victoria fait la gueule comme ça dans la vraie vie ?

Non ! Non ! Non ! Elle ne se renferme pas…

Et toi Sandy, ton personnage ?

Cette fille gâtée, pourrie, est en vérité une fille en mal d’amour, d’affection, dont les parents ont compensé l’amour par de l’argent…et qui essaie d’exister comme elle peut. Elle va donc voler un bijou pour attirer l’attention. Finalement elle se retrouve dans une cellule de garde à vue pour la première fois de sa vie…C’est une aventure pour elle, elle est heureuse, elle vibre enfin…Elle se retrouve avec Isabelle et va se raccrocher à elle pour être aimée,  pour lui donner de l’amour.

Sandy es-tu exubérante comme ça dans la vie ? Comme Audrey Hepburn quand elle vole chez Tiffany’s ?

Non ! Même si la référence me plaît bien…

Le metteur en scène vous a-t-il aiguillées ?

Oui, il voulait que nous soyons réalistes sans être caricaturales. Son but était qu’en tant qu’actrices nous puissions nous les approprier.

Victoria, vous êtes plutôt connue pour votre goût du second degré. Y a-t-il de l’humour dans la pièce ?

Oui ! Vous n’avez pas ri ? Il y a des moments improbables…Le personnage de Diane est dans les extrêmes, « je veux me suicider… » Leurs deux univers s’entrechoquent.

Avez-vous eu des retours de gens qui ont déjà été en garde à vue ?

Nous nous sommes renseignés en amont pour avoir des témoignages, pour nous nourrir des choses vraies.

Le metteur en scène et l’assistant désiraient savoir comment se comporte une fille qui en est à sa quatrième garde-à-vue…qui veut trouver le sommeil... L’angoisse de ne pas savoir l’heure qu’il est…

L’angoisse de la claustration semble en effet monter très facilement, est-ce une projection ?

Non, ne pas avoir la notion du temps rend les gens très claustrophobes...Ils sont confrontés à eux-mêmes, l’absence d’échéance finale les inquiète.

Le moment d’excitation passe assez rapidement…

Diane, interprétée par Sandy, réalise qu’on ne va pas lui rendre son portable, qu’elle ne va pas pouvoir appeler sa mère…L’inquiétude commence à monter…Le côté rebelle « super, j’suis en garde à vue » s’évanouit.


Sous l'objectif de © Romina Shama


Quelques éléments frappants de la mise en scène de Jérémy Azencott pour donner envie d’aller voir la pièce ?

Le côté graphique de la scène, des lumières, la musique. Elle est primordiale, il a effectué beaucoup de recherches pour qu’elle corresponde exactement à ce qu’il souhaitait transmettre…Chaque scène est présentée comme un tableau.

J’ai été effectivement frappé par des ruptures.

Comme s’il avait fait un montage de film, du temps qui passe, avec des ellipses…

Vous êtes avec Régine, Jacques Chazot, une figure emblématique des nuits parisiennes! Quels en sont les avantages?

Ah! Ah! Ah! Sandy a droit à Audrey Hepburn, moi  Régine… !

Nous adorons nous amuser, on est jeunes.

Les avantages  ?

C’est oublier son cerveau de temps en temps, pour quelques heures, le laisser au vestiaire…

Un truc qui fait le nightclubber ou la nightclubbeuse ?

Le plus drôle chez le nightclubber ou la clubbeuse, c’est l’angoisse de louper la soirée de l’année, ce qui fait que nous nous retrouvons dehors alors que nous n'avons pas du tout envie de sortir.

« Ce soir je ne sors pas, je ne sortirai pas ! » mais la crainte de louper la soirée du siècle…

Alors que les soirées se ressemblent…mais on ne sait jamais car si le lendemain on nous dit « t’as loupé la soirée du siècle ! » là on le vit mal…  Quelque chose de très ancré, depuis petite j’ai toujours aimé la nuit, quand j’étais à l’école, j’avais toujours de la peine à me coucher et du mal à me lever, il y a une énergie la nuit qu’il n’y a pas le jour…

Si tu devais emporter, Sandy, une pièce de théâtre sur une île déserte ?

Une Nuit au poste !

Et si vous êtes toutes les deux sur une île déserte et que vous avez déjà lu Une Nuit au poste  !

La chatte sur un toit brûlant ! Je la prendrais bien, juste pour le kiffe, fabuleuse, je pense qu’on peut bien s’amuser, toutes les deux sur une île, rire, se fighter !

Sandy? Une actrice que tu imiterais dans le bus ou dans le taxi, avant d’aller en boîte ?

Valérie Lemercier ! « Je vais voir Hubbb ! »

Victoria, si ce n’est imiter, à qui voudrais-tu ressembler ?

Dans un idéal une actrice comme Naomi Watts ou Romy Schneider. Un modèle pour moi, elle m’a donné envie de faire ce métier, depuis Sissi…

C’est parce que Sissi vit en Suisse ? (L'auteur de l'interview confond Sissi et Heidi .)


Romy Schneider avait ce côté très naturel, elle incarnait ses personnages, cette élégance, elle bouffait l'écran.

Dans une interview tu as dit, ce qui me parait  incongru, que tu voudrais ressembler à Grace Jones ?

Non, on me demandait mes idoles. Son exubérance, elle est « au-delà !» comme David Bowie, emblématique, au-delà de l’humain, de l’art pur. Ses albums sont dingues, sur les photos d’Helmut Newton...


Sandy ?

Moi c’est Marilyn Monroe ! Elle était sublime, depuis mon plus jeune âge. Ma chambre était couverte de posters de Marilyn, ses films, ses chansons, ses livres. Sa vie me bouleverse. On se demande comment lorsqu’on est une icône comme elle, lorsqu’on est idôlatrée, comment il est possible d’être si seule et malheureuse. Le livre le plus bouleversant sur Marilyn est celui narré par son psychanalyste, où il raconte l’évolution de Marilyn et la place qu’elle prenait dans sa vie.

As-tu aimé le tournage de Turf ?

Oui, un casting de fou ! Me retrouver là avec Alain Chabat, Edouard Baer, Lucien Jean-Baptiste, Philippe Dequesne et Helena Noguerra le premier jour...tous ont été charmants! Fabien Onteniente et son équipe également. J’étais un peu la fille qui débarquait, ils m’ont rassurée.

As-tu rencontré des repris de justice sur les hippodromes ?

Alors peut-être sans le savoir…

Es-tu restée pour y assister à des courses ?

Hé bien oui! Je montais à cheval mais je ne regardais pas les courses au Pmu, j’ai découvert ça à Paris, à l’hippodrome de Longchamp. J’ai regardé pas mal de films dont Secrétariat, tiré d'une histoire vraie, avec Malkovitch comme coach hippique et qui n’est pas sorti en France…

Je me suis prise au jeu, à parier, je ne comprenais pas toutes ces côtes, tous ces trucs…j’ai aimé ! Il y a une ambiance très rigolote, tout le monde hurle pour son champion. J’adore les noms des chevaux :  tous si improbables !

Ce n’a pas été trop dur de subir les avances d’Edouard Baer ?

Non, non, il ne m’a pas du tout fait d’avances. Il est adorable, très drôle, ce qui est dur, c’est de ne pas rire à ses vannes, surtout lorsqu’il fait des blagues en contre-champ. Difficile d’éviter le petit fou-rire qui arrive…S’il te plaît, s’il te plaît !

Sandy : des projets de cinéma en vue ?

Oui, je joue dans Le Coeur des hommes 3 qui sort en Octobre 2013, au côté de Marc Lavoine …

Et Gérard Darmon ?

Non, ile ne fait pas partie du troisième volet. Eric Elmosisno, joue le 4ème copain.

Tu as le droit de le dire ?

Oui, oui, c’est officiel !

Ton film préféré ?

Autant en emporte le vent !

Pour moi c’est intemporel, je l’ai vu un million de fois, quatre heures, nous ne voyons pas le temps passer, le jeu des acteurs, l’histoire d’amour, dans une interview un réalisateur raconte qu’il a fait un film cette année-là, quelle erreur !

Lorsqu’ils ont casté le personnage de Scarlet O’Hara, Vivian Leigh n’était pas encore actrice mais elle l’incarnait tant...

J’ai vu un film dernièrement de Roger Avary, Les Lois de l’attraction, Avary est le réalisateur qui travaillait dans un vidéo-club, au côté de Tarentino, c’est là qu’ils ont décidé d’écrire True Romance. Après Pulp Fiction leurs chemins se sont séparés. Et Avary a réalisé Les Lois de l’attraction, adapté de Bret Easton Ellis, ce film m’a bouleversée.  Avec  des scènes de génie. Au fur et à mesure nous rions jaune, parce que les situations deviennent violentes. Je pense qu’il en a inspiré plus d’un avec ce film.



© Romina Shama

J’ai lu des déclarations fracassantes sur le Roi Arthur. Tu as affirmé qu'il était méchant : pourquoi le Roi Arthur est-il méchant ?

C’est le premier personnage que j’ai incarné quand j’étais petite. J’avais huit ans, je faisais partie d’une troupe scout, et pour le Roi Arthur, le rôle était destiné à un garçon. Il se trouvait qu'il  n’apprenait pas son texte. Et le metteur en scène a décidé de le virer. Il fallait quelqu’un qui ait du caractère, le Roi Arthur dans Merlin l’Enchanteur. Je n’avais pas un tempérament de leader, je ne m’imposais pas. Pour la première fois j’ai levé la main et me suis proposée pour le rôle. J’étais passionnée et connaissais le texte sur le bout des ongles. J’ai pu montrer une facette de moi que je ne découvrais pas dans la vie. La magie du théâtre. Nous pouvons être un Roi, un garçon, jouer des personnages odieux, méchants, sans scrupule puis redevenir enfin qui nous sommes vraiment.

Sandy, un premier rôle ?

Quand j’étais petite, je prenais des cours à la Salle Pleyel, il y avait des spectacles dans des salles énormes et je jouais toujours des hommes. Toujours des jeunes premiers de Molière, Marivaux... Et cela me rendait triste, c’était l’incompréhension. Et un jour lors d’une reprise de Grease on m’a proposé le rôle principal, je pensais qu’on me proposait le rôle de John Travolta !

Non, Olivia Newton-John !

Si vous deviez persuader Mickael Gorbatchev d’accepter une interview sur le blog ?

D’abord nous lui demanderions de passer  voir Une Nuit au poste…