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21/10/2015

Come to me

Il est appuyé contre le lampadaire, elle traverse la route, il se raccroche au lampadaire, elle est là, elle est dans sa bouche, il est entre ses lèvres, il fait nuit, contre le mur, contre elle, au creux de son souffle, dans l'air qu'elle inspire, au fond de sa gorge, au fond de ses yeux, au creux de sa nuque, sa chevelure contre ses joues, ses tempes où bat son coeur, entre ses dents, prête à mordre, prêt à la dévorer.

 

Je suis un filet de salive sur le I du verbe aimer. Fragile.

 

Tu réclames des baisers à perte de vue. Je t'embrasserai à perdre haleine. Je veux fondre et danser dans tes pupilles. Nos lèvres chaudes contre les parois du magasin. À l'aube de notre baiser. Ta langue est une prairie, mon souffle est un abîme. Songe à l'infini du ciel bleu. Je me dissiperai comme un parfum au creux de ta commissure. Perds-toi en toi mon âme. Nos lèvres ne font qu'une. Je veux t'embrasser contre une grille, que tes sandales glissent dans la bouche.Je pleure tes froissements de cils contre ma tempe. Baise-moi encore, enfonce ta langue dans ma bouche mon amour. 

 

Je veux entendre ton coeur papillonner sur ma langue. Tu veux éprouver  mon désir qui frétille sur tes lèvres. Nous sommes  l'origine du monde et sa fin. Regardons le soleil se coucher sur tes papilles. Les lèvres, je les aime dessinées, ourlées.  Tu les aimes fiévreuses, dépassées. Qu'elles rougissent à vue d'oeil, et n'aient plus honte de rien. Qu'elles ne cessent jamais, tu l'entends,  de me parler d'amour. Embrasse-moi encore, et que je ne perde pas une goutte de notre rêve. 

 

Le sucre dégouline sur nos lèvres. À l'aube de notre baiser. Le sel perle sur tes paupières. Ne me retire pas ta bouche.

 

 

11:41 Publié dans Inclassable | Commentaires (0) | Tags : baiser, amour, french kiss | | Digg! Digg |  Facebook |

19/07/2015

Action Vérité

 

Amandine n'avait pu réprimer une grimace de dégoût. Elliot avait un bec de lièvre qui entravait son élocution. Une partie de son visage était tâché comme s'il avait été brûlé vif. Cette rencontre l'avait d'autant plus surprise que sa silhouette bondissante ne laissait pas présager une telle monstruosité. Au fil des jours elle avait appris à l'aimer, sa drôlerie, sa façon de danser époustouflante. Ses cheveux longs cachaient des yeux gris. Elle les avait oubliés et ce fut après la disparition qu'elle s'en rappela. Elliot se volatilisa comme une ombre quand le soleil apparaît. Elle ne lui avait auparavant jamais posé de questions. Elle  préférait lui tenir la main. Il disparut un jour de neige, sans emporter de bagage. Au beau milieu des sapins et des guirlandes en aluminium.

Chaque matin, au réveil, elle imaginait son retour. C'était devenu un rituel matinal au même titre que le café ou l'eau froide sur le visage. Elle se le représentait avec une barbe de plusieurs jours, il la prenait dans ses bras, ne lui donnait aucune explication et finissait sa vie avec elle, sur un tapis en duvet, au pied d'une cheminée, avec des enfants qui courent derrière les canapés. Mais chaque jour la maison était vide, la journée s'écoulait sans lui. Il avait bel et bien disparu, sans l'embrasser. La gendarmerie n'attacha aucune importance à ce qui ressemblait à une fugue ou à un départ volontaire.


Aucune dispute n'avait précédé son départ.
Aucune mésentente.
Aucun conflit.

Amandine était certaine que l'affection d'Elliot  le dévorerait  comme au premier jour et qu'il n'oublierait jamais les yeux ronds, les boucles, le visage d'angelot de sa compagne et le poids des ans sur leur amour.

Trois mois s'écoulèrent. La pelouse verdissait.

Il revint et lui offrit une marguerite. Elle le reçut comme dans ses songeries matinales sans lui poser de questions. Il ne lui donna aucune explication, jusqu'au jour où, un croissant à la main, il lui raconta tout. Elle avait toujours cru qu'il était fils unique. Or son frère vivait en Suisse, dans un chalet, atteint également d'une malformation génétique et avait décidé de passer sa vie à l'abri des regards. Il l'avait découvert blême, allongé sur son lit, sans médicament. En le voyant, Elliot s’était lancé : "J'ai voyagé pour te dire que l'amour existe, que je l'ai rencontré, il y a dix ans, et que tu peux sortir de ta cachette." Son frère était blanc comme un linge, mais Elliot sentit qu'à ces mots ses yeux pétillaient.

Amandine vola dans les bras d'Elliot et la tasse de café se renversa sur les cuisses du malheureux.

 

26/11/2012

Extrait futuriste

 

"Elle avait surnommé son Tamagoshi J’y peux rien, car ce n’était vraiment pas de sa faute si les gens ne se parlaient plus. Dès qu’elle voulait discuter avec lui de l’amour ou de ce qu’elle lisait dans les livres les réponses du robot frisaient le grotesque. Lorsqu’elle se laissait aller à des confidences amoureuses, il lui répondait invariablement « 72 pour cent des filles préfèrent les préliminaires » ou encore le très mystérieux « Les actions les plus simples sont parfois les plus difficiles à réaliser ». Tout portait à croire que le toqué était paramétré par des analphabètes. L’époque aimait compter, moins on avait de choses à se dire, plus on donnait des chiffres. J’y peux rien faisait appel aux sondages pour répondre aux questions."

 

                                                                              ...à paraître

 

 

21/06/2012

Petit malaise passager

Elle avait un patronyme qui invitait à se laisser porter par une vague sur les plages de Biarritz. Avec une particule, d'écume, de sel, des embruns, et des boucles comme une sorte d'invitation au voyage. En pension, elle allait de la fenêtre au lit et du lit à la fenêtre mais cela ne la gênait pas. Il y a des gens qui ont assez de rêves pour vivre dans deux mètres carrés. Peut-être était-ce un sorte de poisson rouge? Je sais qu'elle aimait Stendhal, ses orangers, son Lac de Côme et ses héros qui n'ont d'existence que de papier. Mais elle en avait parfois marre d'assister aux cours. Elle passait souvent une après-midi entière à lire une revue sur le lit de l'infirmerie. Elle est Dandy. Elle préférait raconter des bobards à l'infirmière que de subir le fil des jours. Si elle était un fruit, ce serait une clémentine, et si elle était ta mère, ce serait ta soeur. Je n'ai jamais compris qu'elle puisse vouer une passion à Charlie Hebdo. Qu'une fille lise un revue pareille me semblait la négation de la féminité, comprenez-moi, je suis pour la liberté d'expression, mais rien ne nous oblige à lire les élucubrations de soixantenaires barbus, cracras et avec des casquettes. Moi j'aurais lu **** à l'infirmerie. Elle aimait sûrement, comme Sagan, qui s'enfuyait sur les bords de Seine, profiter de "ces heures lentes et grises". Elle fumait cigarette sur cigarette. Est-ce un problème les cigarettes quand la chevelure virevolte comme une plage à marée haute?

Sinon ses mouvements de sourcils étaient fameux. Il y en avait un qui voulait dire "Ha bon", un autre qui voulait dire "Adieu". Et je pense qu'elle n'avait nulle idée des raisons de mes tremblements, tandis que je lui adressais deux mots le café à la main, quand je ne le renversais pas. Des fantaisistes tentèrent de lui faire croire à l'arrivée prochaine d'un Prince africain dans la pension, un certain Modeste Koulibali. Je n'ose croire à la beauté de son regard lorsqu'elle lisait les lettres. Cela donnait, je crois des formules du genre "Son excellence l'ambassadeur du Burkina Faso, vous remercie d'accueillir chaleureusement votre nouveau camarade Modeste Koulibali, titulaire d'une bourse supérieure, délivrée par le Chef de l'Etat et récompensant la haute tenue des résultats et sa propension littéraire etcaetera, etcaetera". J'aurais voulu être une petite souris pour voir à quoi ressemblaient ses froncements de sourcils à ce moment-là. Je me souviens d'une promenade en pédalos entre copains, "rame, rameurs, ramez" , amis, mais avec les pieds. Je ne saurais vous décrire son maillot de bain, parce que je regardais son visage.

Et d'une escapade magique, une après-midi, à la Bibliothèque municipale, passée à lire un roman de notre professeur d'Espagnol, en pouffant,  parce que bien avant Zone il ne contenait pas de ponctuation et ne racontait en une seule phrase que des choses horribles dont un enfermement dans une cave. Record absolu de froncements de sourcils, rires et le bonheur définitif de ne pas l'avoir embrassée.

21:56 Publié dans Portraits | Commentaires (2) | Tags : littérature, amour, sagan, océan, mer | | Digg! Digg |  Facebook |

05/05/2012

Bleu acier (1ère partie)

 

        Ethan se glissa entre deux entrepôts, dont l’interstice lumineux lui indiquait la direction du port. Il ne voyait rien, si ce n’est en baissant la tête quelques oranges qui roulaient sur le sol. Ses pas s’aimantaient au reflet moiré de l’eau et aux sirènes des porte-conteneurs.  Il jeta un œil derrière lui et vit la colline de Haïfa plongeant vers la mer. Il avait du mal à imaginer que Haïfa ait pu être une étendue d’oliviers avant de devenir cette friche industrielle posée sur l’eau comme un rail rouillé. Il dépassa un entrepôt de chaussures, puis un local réfrigéré de fruits et légumes. Il marchait, avec la nonchalance d’un promeneur qui profite de chaque instant. Les porte-conteneurs  lui paraissaient d’inquiétantes créatures d’acier, surmontées de grues rouges et son regard peinait à embrasser l’immensité de leur surface de portage. Il cherchait un bar pour y dérouler sa fin d’après-midi. La chaleur s’emparait de lui et  la reflection de l’eau, loin de véhiculer l’air du large, figeait chacun de ses gestes dans une éternité ensoleillée. Chaque mouvement lui coûtait et accentuait son désir de s’asseoir sur une chaise.

 

     Il était évident, en balayant l’ensemble des installations portuaires, que les hommes se laissaient happer  par une volonté de saccager la Méditerranée, du moins Ethan le pensait-il en se baladant dans cette décharge à ciel ouvert, vidée de présence humaine à l’exception de quelques marins effrontés, qui sautaient de leur pont dans des flaques d’huile peut-être pour impressionner des navigatrices du dimanche, aux boucles brunes qui se déroulaient dans leur dos nu comme un tapis d’algues,  et faisaient virevolter leur hors-bord dans le port avant de partir se balader en mer. C’était sans doute une manière de leur dire bonjour et de braver la saleté du quotidien dans des sauts héroïques, qui n’avaient pour seul mérite que de justifier à leurs yeux d’avoir mis un pied devant l’autre ce matin-là. Il les apercevait s’élançant dans un ballet rythmé, droits comme des citrons, avant de disparaître dans l’eau noirâtre pour mieux ressortir, fierrots en agitant la main. Mais toute cette ferraille lui donnait mal au cœur, ces carcasses, ces voyages sans âmes, ces soupirs sans amour. Ethan longeait désormais la mer, qui toute souillée qu’elle était de la fièvre du commerce, matérialisée par ces bateaux charrettes pleins à ras bord, toute souillée, conservait malgré tout cette bleuité d’innocence qui réveille les âmes fatigués de Joseph Conrad. Car la mer resterait le rêve d’immensité, malgré le village global, et l’uniformisation des cultures et le tout est dans tout et réciproquement. Elle serait toujours ce qui nous sépare de l’autre, de nos futures amours, de la fille qu’on aime, des enfants qui ont grandi, des rêves déchus.

 

       Les oranges roulaient à ses pieds, c’était plutôt pas mal comme fin d’après-midi. Il trouva enfin un bar digne de ce nom avec des vrais marins dedans sans bérets à pompons. Il allait pouvoir se soûler jusqu’à la nuit tombée. Et pourquoi, lorsqu’il ne s’y attendrait plus, ne rentrerait-il pas avec une fille perdue sous le bras, cigarettes et ptites pépées. Ethan rêvait tout éveillé, aussi avait-il l’air un peu con quand il poussa la porte du bar. Il y aurait des chaises. L’établissement était tenu par deux cinquantenaires, disharmoniques, l’un parlait fort et vulgairement, l’autre n’arrivait pas à articuler un mot comme s’il avait eu une extinction de voix que l’imagination romanesque d’Ethan attribua sans ciller à un cancer des poumons. Le goût des maladies chez l’homme est inné un peu comme la marche, un baiser ou des frites. Dans le rade, enfumé en diable, ce qui corroborait l’hypothèse d’Ethan, qui lui valait  de s’adresser au barman avec une sorte de pitié de circonstance, dans le rade étaient épinglés un portrait de Che Guévara, d’Oum Kalsoum, des photos du Sinaï, et des affiches géantes du Galatasarai. ce qui lui donna idée de commander un café turc, pour vérifier la raison obscure de ces amitiés ottomanes. Le café se révéla plein de marc, mais trompa sa solitude. Force était de constater que river ses yeux au fond de tasse constituait un début d’occupation. L’aphone toussa.                

 

                                                                                               ....

08/01/2012

Humour et télépathie

Il avait passé la journée à s'esclaffer, comme s'il avait aspiré du gaz hilarant ou reçu un email en Latin. Hector s'était plutôt habitué au silence de sa correspondante. "Le mutisme c'est plus chic", lui avait-elle confié au téléphone, dans un moment d'égarement. Et la boîte aux lettres du jeune homme était aussi immaculée que les neiges éternelles du Fujyama. Pourtant, quelquefois, elle daignait lui envoyer un poème mystérieux aux rythmes alanguis. Avec des amants et des portes ouvertes. Il le lisait sur sa terrasse

Comment diable taille-t-on un cerisier japonais? Où allait-il le mettre? Deux mètres-dix de haut. Il lui écrivait tous les jours, avec la régularité de métronome d'un détenu de Fleury Mérogis. Elle ne lui répondait jamais, avec la détermination des filles entêtées. Et puis un beau matin la cage s'était ouverte, elle lui avait envoyé un cadeau.

Mais il y avait à redire. La garce !

Pour écrire sa lettre de remerciements, il s'était plongé trois heures dans un dictionnaire d'horticulture. Le "Prunus Cerulata, Cerisier japonais, variété pleureur, produit de délicieuses fleurs roses et blanches, mais ne supporte qu'une taille douce au risque de ne plus avoir que les feuilles pour pleurer". Son balcon grenoblois était désormais accaparé par le végétal en question, ce qui réduisait considérablement l'espace vital d'Hector, mais le désarroi était réciproque. Pas vraiment dans son milieu naturel, le cerisier risquait de dépérir inexorablement, en songeant au mouvement immuable de la Sumidagawa. Tout le génie de la lettre résidait donc dans la dissimulation de son ignorance absolue des principes généraux d'arboriculture. Et de s'extasier devant la générosité du cadeau, et de feindre la connaissance des bourgeons, et de vanter l'harmonie merveilleuse qui régit le monde végétal et les relations entre les êtres.

Et puis il s'était remis à parcourir en bougonnant le livre de jardinage. Il regrettait désormais les effets de manche épistolaires qui avaient conduit à ce fiasco. Cette idée saugrenue de la séduire par l'évocation élégiaque de la verdure grenobloise, et de la vigne vierge qu'il tentait laborieusement de tailler, lui qui avait déjà bien du mal à tondre la pelouse. Elle l'avait pris au mot. Et les filles ont cela de drôle qu'elles font les terre-à-terre. "Oh donne-moi la main, courons au bord de la rivière, moi aussi j'aime faire des ricochets!"

Les lendemains furent joyeux, il constata jour après jour la décrépitude du cerisier. Et chaque matin il riait à s'en tenir les côtes.
Il savait que par un jeu mystérieux d'ondes, les yeux de la généreuse correspondante brillaient de malice en prenant son Benco.