19/12/2024
Nicole Villan, les Merles et les Sapins
Elle distinguait à peine, ce matin-là, l’Hôtel du Mont d’Arbois dans l’épaisse fumée blanche. Il neigeait et la « StAtion » comme la nommait Noémie de Rothschild, avec un grand A, languissant comme lorsqu’on boit un grog, la « StAtion » se noyait sous des monceaux de flocons. Nicole avait froid et même si son pantalon en fuseau émerveillait le petit-fils de Léopold II, il semblait givré. Sa matinée d’entraînement serait difficile. Elle harnacha la paire de skis sur son dos. La toile de Bonneval gainait ses muscles. Elle se dirigeait avec ses airs d’actrice américaine, vers le téléphérique de Rochebrune, avec la détermination d’un buffle. Mais dans les congères sa tête peinait à émerger de l’embêtement blanc. Megève s’en foutait ce matin des sportifs, et les noceuses, qui s’étaient endormies à cinq heures du matin sur des peaux de tigre, sommeillaient encore dans des chalets aux faux-airs de ferme de montagne, dessinés par Le Même. Nicole faisait abstraction de son statut de favorite dans l’équipe de France de ski, pour se concentrer sur ses objectifs : le Championnat du monde et le slalom de la coupe Valisère. Le grésil scarifiait ses joues. Ses cils se sclérosaient en stalactites. Son écharpe semblait renoncer à freiner l’offensive du froid. Du blanc, partout, tout le temps. Comme une sorte de nuit à l’envers. Elle marchait énergiquement et vit enfin la silhouette du téléphérique.
En pénétrant dans la gare de départ, le silence était seulement troublé par le bourdonnement d’un poste à galène, d’où une voix annonçait les nouvelles du jour. « Ce 7 décembre 1938, les deux nations se déclarent prêtes à établir des relations de bon voisinage. Elles expriment la conviction qu’ils n’existent entre elles aucune opposition d’ordre vital. »
Elle crut voir dans le brouillard le tremblement des silhouettes de Georges Bonnet et du Général Von Ribbentrop apposer leurs signatures sur l’accord franco-allemand.
Pas de présence humaine. La régie était vide et Nicole eut un peu d’appréhension en montant seule dans la cabine. À peine entamée, l’ascension s’interrompit, laissant la cabine soumise aux rafales de vent qui rendaient intenable la perception du froid. Elle ne distinguait pas les cables tant le téléphérique flotta quelques minutes dans une nuit de coton. Elle n’avait aucune raison de s’inquiéter : aux dires de ses amis la remontée n’avait pas connu d’incident depuis sa mise en service cinq ans auparavant. L’ascension reprit. Elle distingua quelques têtes roulant au dessus-de la piste comme des accessoires de prestidigitateurs. Les skieurs nageaient davantage qu’ils ne glissaient. Chaque fois qu’elle se pencha pour regarder, elle eut l’impression trompeuse d’impulser un mouvement à la cabine.
En haut, elle fut aussi accueillie par un poste à galène, comme si le personnel veillait à masquer son absence. Elle sortit de la gare et dut se protéger le visage dès que les murs ne l’abritèrent plus. Elle s’élança sur la « Super Megève », déterminée à ne pas s’entraîner pour rien. Elle commença par une chute dans une congère. Le vent accumulait la neige dans les dévers et malgré sa connaissance du domaine, la visibilité infime provoquait des maladresses. Même le Mont-Blanc se défilait, c’est pour vous dire. Elle dut s’arrêter. Le quelques faux-plats du début lui posaient problème car ils survenaient alors qu’elle croyait descendre. Elle perçut le danger qu’il y avait à ne pas essayer d’imaginer son parcours au préalable et décida de faire une brève pause
Quand elle se lança à nouveau, la descente devint plus franche et elle se laissa porter avec moins d’inquiétude, même si la poudreuse dépassait parfois sa taille, marquée par une ceinture de cuir. Elle goûtait une liberté réelle dans un mètre de neige fraîche et sur une piste étrennée par les seuls pisteurs. Une pionnière. La première trace sur une mer de neige. Cela lui rappela les descentes chinoises de son enfance, dans la forêt avec son moniteur de ski. Elle songeait à ces après-midi, comme à une virée en Arcadie. Elle s’était forgée un moral de championne dans ces territoires vierges où, entre deux sapins, les merles, les mésanges et les geais bleus s’envolaient sur son passage. Elle sut alors que la vie n’était qu’une glissade insolente et qu’elle ne renoncerait jamais à ses deux planches de hêtre. Elle effectua un virage approximatif en se repérant à l’aide des rares poteaux visibles. Par pallier, la visibilité s’améliorait légèrement sans que le Mont d’Arbois devînt visible ce qui donne une idée assez précise de la purée de poix dans laquelle elle évoluait. Elle ralentissait dans les courbes profondes car ces spatules disparaissaient sans qu’elle n’ait aucune idée des aspérités qu’elles absorbaient.
La descente de 700 mètres de dénivelé progressait à peine. Elle distingua une sorte de mur de soutènement et décida de s’arrêter. Il y avait un porche d’entrée et un escalier que seule la rampe permettait de distinguer. Sur les deux murs latéraux deux bancs étaient fixés à même la pierre par des chaînes d’acier. Elle avança, saisit la rampe et sortit une clémentine de sa poche. Il y avait des traces de sang dans la montée d’escalier et devant l’entrée. Elles formaient des figures ovales, un peu comme des anneaux olympiques, mais leur densité n’était pas uniforme. La neige ne les avait ni figées, ni noircies. Elle déchaussa ses skis qu’elle planta, droits contre le mur, et se hissa à l’aveugle pour ouvrit la porte. Quand elle regarda à l’intérieur, elle vit un toit béant. Et une pièce principale immaculée. L’animal ou l’homme blessé n’avait pas franchi le seuil. Un songe de son enfance lui revint en mémoire. Une entrée de couvent au bord d’un lac, du sang sous le porche. Le rouge avivé par le soleil et la certitude d’un établissement religieux. Des reflets dorés à la surface de l’eau, les chaînes de montagne autour du lac. Mais la carte postale était définitivement salie. La peur la réveillait. Les traces disparaissaient après le seuil. Elle jeta les peaux de clémentines au milieu des gouttes rouges. Le goût acidulé la rafraîchit. Elle avait blêmi comme lorsqu’un matin nous croisons, sur le trottoir, une silhouette blanche dessinée à la craie.
Les derniers mètres de la piste furent les plus rapides et les plus agréables. Nicole avait la sensation que la vue se dégageait et elle prit plaisir à virevolter.
Quelques mois plus tard, elle remporta la coupe Vallisère, sous les applaudissements de François Parodi et de Noémie de Rotschild. Tous les Mégevans firent une nouba d’enfer au Mont d’Arbois. La fête dura trois nuits entières. Cette victoire ne fut pas en mesure de faire taire les bruits de bottes. Trois allemandes montèrent sur le podium des championnats du monde et Nicole les ovationna.
© Stéphan Pardie
Photo d'une double page d'Alpes Magazine, décembre 2011.
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29/06/2016
Paris au crépuscule
À Arthur Schnitzler
Il descendit de voiture. Il fit les cent pas. La lumière des éclairages publics vacillait dans la petite rue et éclairait à peine La Fontaine Molière, qui s'écoulait dans un mouvement continu. La chaussée n'avait pas encore séché de la pluie de la veille. "C'est curieux pensa Éric, on est à cent pas du palais Royal et nous pourrions nous croire dans quelque ville de province. Nous pourrions jeter des pièces dans la fontaine.Quoi qu'il en soit nous serons à l'abri des curieux et nous ne rencontrerons aucune de ses connaissances."
Il songea à cela en regardant distraitement la devanture de bijoux en argent vendus au poids. Il consulta sa montre : 21 heures. Il faisait nuit noire. L'automne s'épanouissait et puis cette sacrée tempête qui avait fait tomber les tuiles des toits...mais le temps était clément comme s'il était averti de leur rendez-vous.
"Encore une demi-heure", pensa-t-il, près de la fontaine au carrefour. Il observa distinctement les quatre rues par lesquelles elle pouvait venir. Il remonta le col de son trench. " Elle viendra aujourd'hui. Vendredi, réunion du conseil d'administration, elle osera sûrement sortir et pourra même rentrer plus tard que d'habitude"; la sonnerie du bus tinta. Quelques clients du restaurant italien sortaient, il distinguait un piano à l'intérieur. La rue se peupla de touristes élégants prêts à s'étourdir dans les établissements du Premier arrondissement. Mais ils n'entamèrent pas sa tranquillité.
Personne ne fit attention à lui. Soudain, il aperçut une silhouette qui lui parut familière. Il alla vivement à la rencontre de la jeune femme sans voiture. C'était elle. En l'apercevant, elle hâta le pas.
- Tu arrives à pieds?
- J'ai renvoyé la voiture Place Colette. Je crois que le taxi m'a déjà conduite une fois.
Un homme passa et les fixa. Éric le toisa, l'oeil sévère,
- Je suis sûr que tu ne le connais pas. Mon taxi nous attendait, dit-il, suis-moi.
- C'est ton taxi ?
- Oui, si luxueux?
- Nos rendez-vous sont courts, autant que le taxi soit agréable.
Ils rejoignirent la voiture mais le taximan s'était absenté.
- Où donc est-il?
Éric inspecta les environs.
- Seigneur, murmura-t-elle.
- Attends une minute Sweetheart! Il doit être par là.
Il tourna la tête et vit la terrasse du café où le chauffeur était tranquillement attablé.
- Je suis à vous dans une minute. Quelle direction?
- Place de l'Odéon, s'il-vous-plaît.
La jeune femme se blottit dans les bras d'Eric et releva sa capuche.
- Tu ne veux pas me dire "Bonjour"?
- Laisse-moi une minute, je t'en supplie, le temps de reprendre haleine.
La voiture avait atteint la Place de la Concorde et s'engagea sur Le Pont-Neuf. Emma enlaça son amant, ils s'embrassèrent dans le rétroviseur du taxi., les langues faisaient des lacets.
- Et sais-tu depuis quand nous ne nous sommes pas vus?
- Dimanche? Oui, seulement de loin.
- Comment cela? Tu es venue chez nous?
- Oui, chez vous, vraiment, cela ne peut continuer, je ne reviendrai jamais chez vous. Une voiture nous dépasse.
- Du calme, avec la pluie, on ne peut pas nous reconnaître.
- Si, si je les connais. Allons ailleurs je t'en supplie !
- Taxi, nous allons rebrousser chemin, conduisez-nous Place des Vosges, s'il-vous-plaît !
Emma s'accrochait aux poignées...
- Allez moins vite, merci.
- Pas à cette allure, vous avez perdu la raison!
- Excusez-moi, je m'emballe.
- Pourquoi tu n'es pas venue hier? Chez ma sœur? Je croyais tu étais invitée toi-aussi.
-Je ne supporte plus de te voir au milieu de gens. Je veux te voir seule sur un lit...
Elle étendit ses jambes, dont on distinguait à peine les bas de soie blancs.
Le taxi eut l'air de glisser, heurta un trottoir, et zigzagua...
- Ralentissez et reprenez vos esprits, vous êtes épuisé, nous descendons, attendez-nous.
Près du Pavillon de l'Arsenal, les lumières rouges se reflétaient dans l'eau et vacillaient. Les phares des voitures balayaient les quais de Seine.
- Suivez-nous, dit-il au Taxi.
Ils marchaient sur le trottoir.
- Nous devrions partir, partir tout à fait...
- C'est impossible.
- Nous sommes lâches, Emma, voilà pourquoi c'est impossible.
- Et mon fils?
- Il te le laisserait, j'en suis certain.
- Et comment?
- En taxi, immédiatement, viens !
- Non.
- Donc, c'est la dernière fois!
- Quoi donc?
- Que nous nous voyons, reste auprès de lui.
- Parles-tu sérieusement?
- Oui.
-Tu vois, c'est toujours toi qui gâches nos rendez-vous. Et nous irions où si nous partions?
-À Calais, à Douvres, je ne sais pas, en Angleterre.
Ils regardèrent le Taximan.
- à Calais, s'il vous plaît, s'exclama Éric.
Ils s'engouffrèrent dans la voiture et s'embrassèrent. la voiture démarra à pleine vitesse, elle accéléra sur la route détrempée et heurta un panneau signalétique. À cet instant il sembla à Emma que la voiture s'élevait dans l'espace, elle se sentit projetée dans l'air, son corps décrivant une rotation vertigineuse. Elle se retrouva étendue sur le sol. Elle ne voyait rien, sa peur ne fit que croître, car elle ne percevait pas le son de sa voix. Elle comprit tout à coup très distinctement les événements. La voiture avait buté sur quelque chose, une borne sans doute s'était renversée et ils avaient été projetés. "Où est-il lui ? Pensa-t-elle. " Elle ne perçut aucune réponse. Elle essaya de se mettre debout et ne parvint qu'à s'asseoir, ses mains exploraient le sol, à tâtons, et rencontrèrent une masse. Éric était étendu à côté d'elle. Elle allongea le bras, toucha son visage. Quelque chose de chaud et humide coula entre ses doigts. Éric était blême, et le Taximan? pas de réponse.
- Je n'ai aucun mal, pensa-t-elle.
Le chauffeur de Taxi se pencha en titubant et s'agenouilla. Emma était à ses côtés. Il regardait fixement le visage livide. Les paupières ne laissèrent paraître que le blanc des yeux. Un filet de sang ruisselait lentement de la tempe droite. Aucune place pour le doute. Il saisit la tête entre ses deux mains et la souleva.
- Que faites-vous ! s'écria Emma, d'une voix étranglée.
-Mademoiselle, je crois qu'il est arrivé un grand malheur.
Elle prit le chauffeur par le col de de sa chemise.
-Ce n'est pas possible, tu n'es pas blessé ! Ni toi ! Ni moi !...
La tête inerte retomba sur les genoux du taximan. Elle fondit en larmes. Il regarda l'avant de la voiture broyé par le choc.
-Courez, allez, cherchez quelqu'un ! Appelez un véhicule d'urgence !
-Nous ferions mieux d'arrêter une bagnole!
- Non, ce sera peut-être trop tard, oui, trop tard, il nous faut un médecin.
- L'ambulance, le docteur, vous savez, ça ne servira plus !
- Mais dépêchez-vous, bon dieu !
-J'y vais, courage, toute seule.
Emma conserva le visage sur ses genoux, contre un mur, dans l'obscurité.
"Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible,non, ce n'est pas possible se répétait-elle, sans cesse." Un frisson la parcourut, "Quelle idiote, c'est un mort, je suis seule avec un mort, elle prit conscience de l'abandon total dans lequel se trouvait le visage. Elle se raccrocha à la lumière d'un lampadaire, qui n'était qu'un piètre réconfort mais qui avait le mérite d'être là. Ses yeux se brouillèrent, elle les ferma. Puis se redressa comme en sursaut.
Elle imagina le retour du taxi.
- On ne peut pas me trouver là, c'est impossible!
Elle posa la tête délicatement sur le sol. Des voix se firent entendre. Elle écouta tétanisée. Les voix venaient d'une ruelle à droite. Ce sont deux femmes, trois peut-être qui ont aperçu la voiture. Les yeux du mort s'agrandissent, il veut la garder en son pouvoir...la voilà partie, elle marche puis court sur la route, en retenant sa robe pour ne pas tomber, détale, fuit. Elle voit passer une ambulance de premier secours, elle sait bien où ils vont, elle les suit des yeux, se retourne, et continue à courir, elle a un mari, un fils, non on ne peut pas la trouver là. L'accident, c'est la fin de l'anneau de Gyges. Elle hèle un taxi, elle n'aspire qu'à rentrer chez elle. Le retour est interminable. Paris défile, puis elle passe le boulevard des maréchaux et croise des prostituées, la voilà loin, hors de Paris. La sonnette retentit, elle entend la femme de chambre qui ouvre la porte, elle entend la voix de son mari, incline sa tête, sa robe est maculée de sang. Elle sent que le moment est venue d'être forte, elle se dirige vers la salle à manger et y entre au même instant que son époux. Dans la lumière tamisée.
-Ah, tu es déjà rentrée !
-Mais oui, depuis longtemps.
-Apparemment, on ne t'a pas vu arriver, le petit boude dans sa chambre. Elle sourit d'un air très naturel, mais se sent épuisée. Elle n'entend plus rien. Et voit ....qui ouvre les yeux avec l'aide des secours. "S'il vit, s'il a repris connaissance ?"
-Qu'as tu ? Son mari se lève, l'air grave.
-Quoi, comment?
-Mais enfin qu'est-ce que tu as? Tu allais t'endormir et tu as poussé un cri.
Elle considère son propre visage déformé dans la glace. Deux mains se posent sur ses épaules.
" Il ne se vengera pas, il est mort, et les morts se taisent."
-Pourquoi dis-tu cela? Elle regarde son mari épouvantée. Il lui semble qu'elle vient de tout raconter à haute voix.
-Qu'ai-je dit alors?
Son mari articule lentement "Les morts se taisent".
-Oui, dit-elle, oui.
C'est sa dernière épreuve. Elle sait qu'elle a perdu. Dans ses yeux, elle lit qu'elle n'a plus rien à lui cacher.
-Va coucher le petit, et tu as quelque chose à me dire.
Elle sait que dans l'instant qui va suivre , elle dira toute la vérité à un homme qu'elle a trompé depuis de longues années. Et un calme immense l'envahit. Elle sourit à son fils.
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12/04/2013
Stone et Rolling
La trotinette filait à la vitesse de l'éclair, tournoyait entre les passants, frôlait les panneaux signalétique. Tous deux nous chorégraphiions nos déplacements aux millimètres comme des danseurs étoiles, des virtuoses de la glisse urbaine, car à l'air libre, notre entente atteignait son apogée, tandis que nous profitions de l'espace confiné de l'appartement pour nous mettre sur la gueule. Des héros de la voltige. La réalité des trottoirs s'évanouissait sous nos planches. Le grand attendait le petit, le petit attendait le grand et nous n'attendions personne. Papa courait derrière nous dans l'espoir que nous le guettassions dans un sursaut étonnant de reconnaissance filiale. Mais tel était le prix de notre complicité, et lorsque pris d' un désir héroïque, je soulevais la jambe droite en arc de cercle, mon cadet faisait de même, râpait les murs, ouvrait haut la bouche, roulait des yeux, poussait un cri, et se ramassait, pour remonter dans la seconde tel un cowboy, sur son destrier, afin qu'il ne soit pas dit que l'enthousiasme fût éteint, la flamme retombée.
J'ai toujours eu l'oreille musicale. Les chansons que je fredonnais avaient pour mérite une mélomanie que les passants qui se décalaient se retrouvaient contraints d'apprécier, tandis que mon cadet beuglait comme un veau des refrains méconnaissables. Nous aimions nous frôler tels deux pilotes de meeting aérien, conscients des risques, maîtres des technique, au fait de leurs effets. Dans la dernière descente, Papa au comble du ridicule, nous prenait en photo, l'espace d'un cliché, nous devenions la septième merveille de la rue, les Paul et Pierre qui roulent.
Nous tenions à prouver que la sécurité nous importait. Néanmoins maîtrisant mal notre distance de freinage, nous nous arrêtions au milieu de la voie, plutôt qu'en amont, croyant prendre garde aux dangers, espérant lire dans les yeux de notre père de la fierté, malgré ses dénégations et sa promptitude à nous reposer sur le trottoir.
Puis je filais et tu refilais, non sans me lancer au vol des insultes fraternelles avant de piler net dans devant le cabinet d'ophtalmologie, but ultime de notre voyage. Je sonnais à la porte. Nous retirions nos casques. Papa pliait les trotinettes. Et nous prenions place sagement dans la file d'attente, soudain rendus à nous-mêmes et privés de nos tapis volants.
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28/03/2013
Rock and roll and girls
"It's true, I'm kind of retarded. But I'm also kind of amazing", Hank Moody
Valentine remonta son tee-shirt.
- J’ai mangé comme une truie ! Et voilà ! Trois jours sans baise !
Elle montra son ventre.
-En même temps, je n’ai rien à me mettre sous la dent.
Elle remarqua son petit neveu.
- Oh ! Un enfant !...
Elle avait les cheveux en vrac et sautillait.
- Je suis une roller-girl, je suis une roller-girl.
- En tout cas t’as pas oublié ta planche à conneries, remarqua le bassiste.
Avec sa moustache, il se prenait pour Stanley Clarke. Il avait des visions et était persuadé que sa veste ouverte aérait ses poils. « Ils sentent les bonnes vibrations, tu sais il ne faut pas les brusquer, ils entendent tout. » Ce soir, le groupe devrait éviter l’amateurisme. La répétition était sur le point de commencer et Serge, torse nu, se pencha sur sa gratte, mais une bourrasque ouvrit la porte. Une grande brune. Il leva les yeux vers le trench-coat à boutons noirs.
- Je suis ta fille ! vociféra-t- elle.
Un ange passa. Les membres du groupe posèrent leurs bières.
Valentine se tourna vers sa batteuse et lui souffla : «Tu crois que c’est vrai ?
- Impossible, avec son nez, elle ressemble à Sollers, c’est pas une musicos.
Serge était rouge comme du Tabasco.
- Suivez-moi Mademoiselle, nous allons discuter de cela dehors.
Il devenait subitement courtois.
Valentine tenta de détendre l’atmosphère.
- Mademoiselle ? Connard ! C’est un mot sexiste !
Il prit la longue brune par la main.
- Regarde-le, il va nous laisser en plan, tu le crois ça ?
- Plus rien ne m’étonne, déjà que c’est pas du premier choix…
- T’as raison, je préférais encore l’autre con qu’est parti se recueillir à Menphis.
- Menphis ? Tu parles, il est allé voir sa pute, oui !
Elle aperçut son petit neveu.
- Oh ! Un enfant !...
Sophie alla chercher du miel pour s’adoucir la voix. Ce soir, le groupe se produisait à l’Elysée Montmartre, du sérieux. Il fallait espérer que le père caché revienne. Elles n’attendirent pas longtemps. Un coup de vent ouvrit la porte, il était de retour.
- C’est une amie qui voulait me faire une blague…
Ses joues n’étaient plus empourprées par la honte.
Il était pâlichon.
- Alors, t’es prêt Oliver Twist ? clama Valentine.
Sa batteuse pouffa.
- Ne te moque pas, ce n’est pas lui l’orphelin.
Il quitta la pièce précipitamment. Son estomac se nouait comme un nid de serpents.
Il vomit dans les toilettes sous le poster à moustache de Janis Joplin. Il releva la tête en se demandant qui avait bien pu graffiter le cliché. Puis il replongea la tête dans la cuvette pour cracher de la bile. Il se redressa en tentant de se souvenir du prénom de la copine de Janis, c’est vrai que Janis était bisexuelle. Puis il s’inclina définitivement. Il régurgitait de l’eau.
Pendant la répétition, Valentine avait l’impression d’être la Reine des abeilles. Tout le monde s’affairait autour d’elle. Elle était allongée sur son vieux canapé orange. Short noirs, bas clairs, talons azur, Sophie moquait sa sexitude. Elle tournait autour avec son mobile, pour prendre des photos accablantes. Toute la ruche bourdonnait sous les yeux émerveillés du petit neveu qui sentait confusément qu’il était au bon moment au bon endroit.
Serge, revint tout blanc avec un air d’apiculteur allergique. Il ne daigna participer que pour faire des références inaudibles à Stanley Clarke. Et se pencher sur les partoches fut une tannée.
Valentine travaillait une version féminine de « Whisky bar » qui présentait des risques d’implosion.
Sous la fenêtre l’eau de la fontaine jaillissait à gros bouillons. Les voitures longeaient les immeubles. Dans l’une des vitrines brillait un costume de Samourai.
Tout à coup, elle bondit hors du canapé, fiévreuse, excédée par le retard de sa podologue, car avant le concert, il n’eût pas fallu déroger au rituel superstitieux du massage orthopédique. Serge misait également sur la podologue pour résorber le début de panari dans ses santiags offertes, il y a des lustres, par Les Chaussettes noires.
Sonia, la choriste, une grande black aux cheveux dressés comme des canisses, rappela la pédicure.
Elle arrivait. Elle frappait à la porte. Elle était là.
Valentine ne lui dit pas bonjour.
- Tu as pensé à ce que je t’ai demandé ?...
La podologue sortit une seringue.
- Je te pique dans le mollet comme d’habitude ?
- Oui, avec mes cuissardes on ne verra rien.
Après l’intervention, la podologue demanda à Valentine comment elle se sentait.
Pour toute réponse, elle lui roula une pelle.
- Wonderwoman.
19 heures.
Tout ce petit monde prit son matériel sous le bras pour le déposer dans le 4x4 Vitara de Serge, près d’un bar. Un voiturier regardait Sonia bizarrement. Elle s’interrogea.
Serge lui suggéra de ne pas s’inquiéter. Serge était au jus.
- Il a cru que tu lui faisais des avances, c’est un club échangiste.
Les yeux de Sonia s’arrondirent.
- Y a pas de honte, Madonna y fête son anniversaire.
La fumée du 4x4 ne laissait aucune chance aux cyclistes. Lorsqu’ils arrivèrent à l’Elysée Montmartre, ils découvrirent une sorte de hangar lugubre, plein de poussière.
- C’est pour le retrait de marchandises ? demanda Sophie.
- Non, c’est là qu’on chante.
Le premier titre fut un succès, des filles aux cheveux bouclés, tatouées et à demi-nues se déhanchaient mais une spectatrice ne regardait pas Serge comme les autres. Il recula de deux pas. Sa tête heurta un stroboscope. Une heure plus tard, quand il passa un scanner, il songea à sa lâcheté. Valentine, Sophie, Sonia l’accompagnèrent. Elles terminèrent leur nuit aux urgences et firent les yeux doux aux internes. Mais ils n’avaient pas le temps.
Avec Serge dans le coma, nous sommes vraiment un Girls band.
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19/12/2024
Le noceur était presque parfait.
Arthur m’avait confié qu’il voulait commettre un attentat contre l’institution du mariage…
- Mais tu ne vas pas bien ? C’est la ménopause ?
- Tu ne peux pas comprendre, m’avait-il répondu en ajustant une mèche.
- D’abord, on ne fomente pas un attentat contre une institution !
- Ben dis donc, heureusement que nous ne sommes pas en dictature…sinon faudrait pas compter sur toi…
Cette remarque fut sans lendemain.
Les années avait passé et il s’était laissé convaincre par Ludivine, une brune sexy en diable, de se marier, de faire une belle fête en Camargue. C’était surtout le côté « Réception de l’Ambassadeur » qui lui plaisait… Il voulait une pyramide de Rochers Ferrero, des enfants qui jouent entre les canaux, un feu de camp, des filles en robes courtes, un orchestre gitan et des trompettes, une baignade dans la mer en fin de repas, des roseaux. Un feu d’Artifice au dessus de l’usine des Salins du midi et la pièce montée. Le sel sur la peau de la mariée…
Ludivine avait une robe cristaux de sel. Il avait envie de la prendre là sur l’autel de l’Eglise minuscule des Saintes-Maries. Ou entre deux caravanes, bercés par le bruit du ressac. La danseuse de Flamenco entama ses pas sur le parvis tandis qu’une pluie de riz complet attendait les convives. Des grains de riz batifolèrent dans son costume et s’insinuèrent dans le jupon de Ludivine. Ses éclats de rire s’envolaient. Il l’aimait. Il y avait elle, l’eau et la vie. Ils coururent vers la voiture, une Mini pavoisée de blanc et entreprirent en riant de rejoindre la Mairie d’Arles. Ludivine conduisait. Il ouvrit la porte, sauta de la voiture et finit défiguré dans une manade.
13:07 Publié dans Nouvelles, récits | Commentaires (1) | Tags : noces, camargue, nouvelle, presque parfait, ludivine, salins du midi, mariage, divorce, attentat, institution | | Digg | Facebook |