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28/09/2011

Reste-t-il du mascara?

 

 

Souvent lorsque je m’allonge auprès de la cheminée pour goûter aux plaisirs de l’hiver, ma bien-aimée lève ses yeux ronds écarquillés, sur ses pommettes, vers moi, et sous ses boucles blondes entortillées, m’interpelle : «  Te rappelles-tu, Stephan, des ocres de Sienne ? » ; Et tandis que mes paupières tombent, cette courte phrase ne me quitte pas : « Te- rappelles-tu, Stephan, des ocres de Sienne ? » Avons-nous assez d’imagination pour recréer des couleurs ? Ou sommes-nous condamnés à reprendre la route de Sienne ?

J’ai cherché longtemps une réponse. Songez que lorsqu’une personne disparaît, son timbre de voix est le premier à nous quitter. Enregistrons la voix des personnes aimées.

 

            Je bois un café noir, Piazza del Duomo. Sa mousse brunâtre laisse une trace sur les rebords de la tasse. Les passants sont rares à sept heures du matin. L’un d’eux, un chapeau de paille sur la tête a des airs de propriétaire terrien. La terre est encore féconde en Toscane, aussi verticale que ses arbres centenaires. Mon esprit divague et quelques pigeons voltigent devant les blocs de marbre blancs alternés de bandes sombres. La construction de l’édifice fut interrompue par la grande peste du XIVème  siècle, qui décima la ville. Le bâtiment gigantesque n’est donc plus que l’immense transept de l’Eglise primitive. La nef d’une blancheur d’albâtre ne vit jamais le jour…

 

             Ainsi prit fin le rêve d’innocence.

           

            Je décide de quitter la place. Quelques enfants tentent de saisir des pigeons. Les nuages éclairés en contre-jour prennent un aspect argenté. Je déambule dans les rues longues et étroites comme des tables de banquets. La phrase me fait frissonner. Les réverbères dans l’ombre matinale semblent des pendus aux gibets. Sienne est un écrin, cerné de Cyprès, vallonné de vignes, étouffé de chaleur toscane. Je croise un porche sous lequel Casanova a passé une nuit. On l’imagine vieillissant, avec sa canne, au détour d’une auberge. Les rues descendent comme dans un précipice. Aucun linge ne sèche sur les fenêtres de Sienne. La cité n’est pas miséreuse comme les villes du Sud et du Golfe de Naples, où les maisons sans crépi laissent un goût d’inachevé. Pas de volcan non plus. Tout est calme. Un vieillard assis sur une rambarde devant le Battistero fume une cigarette. Est-il dans le secret des couleurs ?

 

            Il me décrit d’une voix claire l’Hôpital Santa Maria Della Scala, les saignées effectuées au Moyen Age dans les services d’urgence, la volonté des édiles siennois d’en faire un établissement de pointe. « Les infirmiers devaient se laver les mains, les lits en bois étaient interdits pour lutter contre les acariens. » Mais l’hôpital a dû sa richesse à la peste et aux héritages nombreux qui s’ensuivirent. Sienne est une ville bâtie sur des cendres, sur les cadavres brûlés pour freiner l’épidémie. L’un des derniers à mourir dans le bâtiment, avant qu’il ne devienne un monument historique, fut Italo Calvino, l’auteur facétieux du Baron perché. Mais la beauté de Sienne n’est pas guillerette, elle est empreinte d’élégance. Les chevaux tombés, sur la Piazza del Campo, en forme de coquillage, lors de courses frénétiques, ont recouvert le sol, les portes et les murailles de sang séché.

 

            La toscane est volubile mais se tait entre 13 heures et 18 heures pour laisser à la ville son raffinement silencieux. Sienne est un monastère, ouvert sur des vignes qui naissent et meurent sur ses terres rocailleuses. Le soleil s’abat sur les visiteurs et les laisse exsangues sans volonté comme un lézard dont le seul désir est de profiter des rayons  brûlants. Nul n’ose percer son secret. Si sa place en coquillage est unique, et ne sacrifie pas au plan des villes romaines, la cité demeure une perle régulière. Rien n’est baroque à Sienne. Nul ne sait ce qui se passe dans les arrière-cours des castellari, ces hôtels particuliers que la bourgeoisie  a désormais investis.

           

            A quoi bon réformer la beauté. Elle est au rendez-vous nacrée d’ocre, et muette. Au couchant, il n’est pas rare de rencontrer  un frison ayant appartenu aux Médicis : il galope seul sur la Piazza, avant de s’engouffrer dans une ruelle, sa robe empourprée par le crépuscule. On raconte que lorsqu’une fille s’amourache d’un Siennois, elle passe déposer une branche d’olivier sur sa fenêtre. Si un moineau se pose sur le rameau, le garçon l’épouse. Les Siennois sont des plaisantins, cependant ils ont une conscience aigue de la splendeur de leur ville. On ne doit pas rire avec elle.

 

            Rassure-toi cependant, lectrice, l’époque où du poison était fabriqué dans des arrière-salles est désormais révolue ; mais les touristes sont des vampires, ils sucent l’âme des villes qu’ils visitent. Cette âme  se dissipe comme un parfum.

           

            La carte postale, l’odieuse, reste épinglée aux murs.

 

08/09/2011

11.09.2001. 11.09.2011. Les photos de Robert Clark (Galerie Polka)

http://www.polkamagazine.com/galerie/11-septembre-2001/366

Cela fait dix ans et c'est comme si c'était hier. Les images ont tellement irradié l'imaginaire collectif, un peu comme celles de la chute du Mur de Berlin. Nous n'avons pas envie de les revoir, alors ce qui nous attire d'abord, sans oser nous l'avouer, c'est le bleu du ciel. La beauté des clichés est un outrage. Une fille s'exclame "Franchement auriez-vous envie d'acheter cette photo, vous?" Elle pose l'unique question.

9h03. Un boeing s'encastre dans la Tour Sud  du World Trade Center, après que la Tour Nord a déjà été frappée. La galerie Polka expose quatre photos de Robert Clark. La première est saisissante, à l'extrême gauche du cadre, l'avion se prépare perpendiculaire à aborder la deuxième tour. Le sang-froid du photographe laisse incrédule. Lorsqu'il la prend, il sait ce qui va se passer, comme un spectateur, au premier acte d'une tragédie.

Les trois autres clichés ne sont que la captation de la trajectoire de l'avion.

Etreinte géométrique.

Il y a longtemps dans un camping à Avignon, l'un de mes amis a provoqué, malgré lui, une fuite de bouteille de camping-gaz. L'un de nos voisins resta debout en nous fixant avec gravité tandis qu'un autre se jeta par terre les mains sur la tête, comme un soldat au passage d'une mitrailleuse.

Auriez-vous pris la photo?

Seriez-vous resté bouche-bée, refusant le sens de l'instant et la condition de spectateur?

 

 

 

 

05/09/2011

Cumulonimbus

Vous avez deux ans et vous montez comme un petit singe sur le siège en velours. Vous prenez appui et vous vous hissez sur la pointe des pieds, vos petites mains s'agrippent à la lucarne ronde. Vous fixez des masses blanches. Vos pupilles s'élargissent, grossissent, voisinent l'explosion comme une cerise dans une centrifugeuse. Puis vous fermez les paupières. Les tissus blancs qui flottent dans le ciel vous éblouissent et une affreuse dame avec un couvre-chef veut vous attacher au siège.

Vous poussez un cri d'effroi, mais elle résiste. Elle ne vous laisse pas le choix. Vous tournez la tête vers le hublot : vous boudez dans les éponges blanches.

Plus tard, au détour d'une oeillade, vous découvrez qu'elle sert de la grenadine à tout le monde et pas à vous. Vous criez de plus belle parce que l'affreuse dame au chapeau est méchante et parce que les éponges blanches vous aveuglent. Vous avez mal aux oreilles. Soudain vous prenez sur vous. Vous séchez vos larmes, mais vous ne comprenez pas pourquoi votre frère se porte comme un charme. Enfin si, il boit une grenadine.

Même pas mal. Vous, vous avez les éponges blanches.