05/02/2013
Sigsu - I
Au bord d'un lac, dans une cabane de bric et de broc, de cagettes et de palettes, d'escaliers et d'escaliers, vivait un troll, plus petit que la moyenne des trolls, du moins nous semblait-il comme tel, lorsqu'il allait cueillir des baies de cranberrys avec ses copains velus de tous les coins de la région pour la grande cueillette. C'était le seul jour de l'année où Sigsu abandonnait la sensation d'angoisse qui, le reste du temps, lui valait de rester cloîtré, avec des livres de grandes découvertes , de voyages dans la lune et de combats héroïques. Sigsu avait ouvert une sorte de meurtrière afin de voir l'extérieur sans être vu, car il guettait les dangers qui pouvaient surprendre son foyer. Dans la pièce dévolue à ce dispositif, il avait aménagé une réserve de jus de fruits et les sirotait à l'affût du moindre mouvement que son œil avisé de troll remarquerait puisque le monde extérieur depuis des temps immémoriaux n'était pas voué à l'immobilité. Les saisons changent, les truites remontent les rivières, les feuilles tombent, il gèle. Tout bouge sous l'étrange carapace du monde.
Sachez que l'oeil des trolls, outre la possibilité de scrutation latérale a une portée de cinq kilomètres ce qui permettait au guetteur de saisir tous les mouvements humains aux alentours et bien souvent de les trouver fort suspects.
Sigsu avait deux petits : l'un blond, ébouriffé et de mauvaise humeur le matin, qui s'appelait Mol et l'autre brun, forêt de cheveux, de grands yeux en amande, qui s'appelait Nil. L'un dormait sur une paillasse, l'autre dormait sur une paillasse, et il était difficile de distinguer les cheveux de Mol de la paille de son matelas. C'était une des blagues favorites de Nil de s'exclamer :
"Oh! Mol! Je ne vois plus tes cheveux, tu les as perdus pendant la nuit?"
Mol sautait alors rageusement sur les épaules de Nil avec la ferme intention de le projeter contre la commode en bois sculpté de papa troll et de se débarrasser de ces facéties matinales, qui perturbaient son réveil déjà douloureux et rendaient plus incertaine l'éventualité d'un sourire. Nil était plutôt rêveur.Il s'endormait à table, surtout au petit déjeuner après avoir transporté son frère sur son dos. Ses cheveux noirs s'éparpillaient alors sur les restes de gâteau à la carotte. La maman troll dont son cadet avait hérité la blondeur scandinave avait donc bien à faire, car dès que paraissait l'Aurore aux doigts de framboises Sigsu courait dans son réduit veiller à ce que quelque ours ne vienne pas souffler sur la cabane.
Les deux petits affreux prenaient alors leur bain dans un lavoir rempli de pommes, car ombragé par plusieurs arbres fruitiers. Nil ragaillardi, se hissait sur la pointe des pieds et et se laissait aller à déposer un bisou dans le cou de maman troll, avant de replonger et de s'attaquer à son cadet à grands coups de branches de pommiers.
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03/02/2013
La Bretagne, ça vous gagne.
Saint-malo est un hors-d'oeuvre, une fondue de poireaux sous les noix de Saint-Jacques, rien de plus. Un office du tourisme pour les usagers du Tgv. Mais il faut s'enfoncer dans les terres, ramasser des bruyères en silence, boire à la fontaine de Barenton, marcher sur les pas de Tess dans les chemins boueux de Locronan, discuter avec des suicide girls dans les rues du Bono, pour que la Bretagne vous laisse entrer, pour goûter aux lèvres de Mélusine.
Il y a dans le granit de Saint Malo, comme un goût des départs et de la résistance à l'oppression. On ne fait pas de quartier à Saint Malo. Si la ville est détruite, on reconstruit. Le Breton est persévérant. C'est une cité moderne avec un charme fou. Se balader à marée haute sur la muraille, retrouver Margot derrière les flots bleus, la piscine au plongeoir rouillé, les hôtels qui puent le poisson. Il y a des originaux qui lisent Chateaubriand sur sa tombe. Filez manger des pommes de terre salées au Chalut, vous m'en direz des nouvelles. Les omelettes de qui vous savez où savez, c’est rien. Sur la longue plage, le bar rasta promène sa silhouette burlesque, je ne vois pas pourquoi Bob Marley s’y serait arrêté, excepté pour jouer au ballon rond, à moins que ce ne fût une parenté pirate avec la Jamaïque et que Surcouf vînt y danser le reggae.
La muraille joue le rôle d’écran acoustique, nous cessons nos conversations.
Un chapeau, une cité corsaire, une manière d'huître.
16:38 Publié dans Vie des autochtones | Commentaires (2) | Tags : saint-malo, bretagne, bono, tess, polanski, voyages, littérature, filles | | Digg | Facebook |