19/12/2024
Nicole Villan, les Merles et les Sapins
Elle distinguait à peine, ce matin-là, l’Hôtel du Mont d’Arbois dans l’épaisse fumée blanche. Il neigeait et la « StAtion » comme la nommait Noémie de Rothschild, avec un grand A, languissant comme lorsqu’on boit un grog, la « StAtion » se noyait sous des monceaux de flocons. Nicole avait froid et même si son pantalon en fuseau émerveillait le petit-fils de Léopold II, il semblait givré. Sa matinée d’entraînement serait difficile. Elle harnacha la paire de skis sur son dos. La toile de Bonneval gainait ses muscles. Elle se dirigeait avec ses airs d’actrice américaine, vers le téléphérique de Rochebrune, avec la détermination d’un buffle. Mais dans les congères sa tête peinait à émerger de l’embêtement blanc. Megève s’en foutait ce matin des sportifs, et les noceuses, qui s’étaient endormies à cinq heures du matin sur des peaux de tigre, sommeillaient encore dans des chalets aux faux-airs de ferme de montagne, dessinés par Le Même. Nicole faisait abstraction de son statut de favorite dans l’équipe de France de ski, pour se concentrer sur ses objectifs : le Championnat du monde et le slalom de la coupe Valisère. Le grésil scarifiait ses joues. Ses cils se sclérosaient en stalactites. Son écharpe semblait renoncer à freiner l’offensive du froid. Du blanc, partout, tout le temps. Comme une sorte de nuit à l’envers. Elle marchait énergiquement et vit enfin la silhouette du téléphérique.
En pénétrant dans la gare de départ, le silence était seulement troublé par le bourdonnement d’un poste à galène, d’où une voix annonçait les nouvelles du jour. « Ce 7 décembre 1938, les deux nations se déclarent prêtes à établir des relations de bon voisinage. Elles expriment la conviction qu’ils n’existent entre elles aucune opposition d’ordre vital. »
Elle crut voir dans le brouillard le tremblement des silhouettes de Georges Bonnet et du Général Von Ribbentrop apposer leurs signatures sur l’accord franco-allemand.
Pas de présence humaine. La régie était vide et Nicole eut un peu d’appréhension en montant seule dans la cabine. À peine entamée, l’ascension s’interrompit, laissant la cabine soumise aux rafales de vent qui rendaient intenable la perception du froid. Elle ne distinguait pas les cables tant le téléphérique flotta quelques minutes dans une nuit de coton. Elle n’avait aucune raison de s’inquiéter : aux dires de ses amis la remontée n’avait pas connu d’incident depuis sa mise en service cinq ans auparavant. L’ascension reprit. Elle distingua quelques têtes roulant au dessus-de la piste comme des accessoires de prestidigitateurs. Les skieurs nageaient davantage qu’ils ne glissaient. Chaque fois qu’elle se pencha pour regarder, elle eut l’impression trompeuse d’impulser un mouvement à la cabine.
En haut, elle fut aussi accueillie par un poste à galène, comme si le personnel veillait à masquer son absence. Elle sortit de la gare et dut se protéger le visage dès que les murs ne l’abritèrent plus. Elle s’élança sur la « Super Megève », déterminée à ne pas s’entraîner pour rien. Elle commença par une chute dans une congère. Le vent accumulait la neige dans les dévers et malgré sa connaissance du domaine, la visibilité infime provoquait des maladresses. Même le Mont-Blanc se défilait, c’est pour vous dire. Elle dut s’arrêter. Le quelques faux-plats du début lui posaient problème car ils survenaient alors qu’elle croyait descendre. Elle perçut le danger qu’il y avait à ne pas essayer d’imaginer son parcours au préalable et décida de faire une brève pause
Quand elle se lança à nouveau, la descente devint plus franche et elle se laissa porter avec moins d’inquiétude, même si la poudreuse dépassait parfois sa taille, marquée par une ceinture de cuir. Elle goûtait une liberté réelle dans un mètre de neige fraîche et sur une piste étrennée par les seuls pisteurs. Une pionnière. La première trace sur une mer de neige. Cela lui rappela les descentes chinoises de son enfance, dans la forêt avec son moniteur de ski. Elle songeait à ces après-midi, comme à une virée en Arcadie. Elle s’était forgée un moral de championne dans ces territoires vierges où, entre deux sapins, les merles, les mésanges et les geais bleus s’envolaient sur son passage. Elle sut alors que la vie n’était qu’une glissade insolente et qu’elle ne renoncerait jamais à ses deux planches de hêtre. Elle effectua un virage approximatif en se repérant à l’aide des rares poteaux visibles. Par pallier, la visibilité s’améliorait légèrement sans que le Mont d’Arbois devînt visible ce qui donne une idée assez précise de la purée de poix dans laquelle elle évoluait. Elle ralentissait dans les courbes profondes car ces spatules disparaissaient sans qu’elle n’ait aucune idée des aspérités qu’elles absorbaient.
La descente de 700 mètres de dénivelé progressait à peine. Elle distingua une sorte de mur de soutènement et décida de s’arrêter. Il y avait un porche d’entrée et un escalier que seule la rampe permettait de distinguer. Sur les deux murs latéraux deux bancs étaient fixés à même la pierre par des chaînes d’acier. Elle avança, saisit la rampe et sortit une clémentine de sa poche. Il y avait des traces de sang dans la montée d’escalier et devant l’entrée. Elles formaient des figures ovales, un peu comme des anneaux olympiques, mais leur densité n’était pas uniforme. La neige ne les avait ni figées, ni noircies. Elle déchaussa ses skis qu’elle planta, droits contre le mur, et se hissa à l’aveugle pour ouvrit la porte. Quand elle regarda à l’intérieur, elle vit un toit béant. Et une pièce principale immaculée. L’animal ou l’homme blessé n’avait pas franchi le seuil. Un songe de son enfance lui revint en mémoire. Une entrée de couvent au bord d’un lac, du sang sous le porche. Le rouge avivé par le soleil et la certitude d’un établissement religieux. Des reflets dorés à la surface de l’eau, les chaînes de montagne autour du lac. Mais la carte postale était définitivement salie. La peur la réveillait. Les traces disparaissaient après le seuil. Elle jeta les peaux de clémentines au milieu des gouttes rouges. Le goût acidulé la rafraîchit. Elle avait blêmi comme lorsqu’un matin nous croisons, sur le trottoir, une silhouette blanche dessinée à la craie.
Les derniers mètres de la piste furent les plus rapides et les plus agréables. Nicole avait la sensation que la vue se dégageait et elle prit plaisir à virevolter.
Quelques mois plus tard, elle remporta la coupe Vallisère, sous les applaudissements de François Parodi et de Noémie de Rotschild. Tous les Mégevans firent une nouba d’enfer au Mont d’Arbois. La fête dura trois nuits entières. Cette victoire ne fut pas en mesure de faire taire les bruits de bottes. Trois allemandes montèrent sur le podium des championnats du monde et Nicole les ovationna.
© Stéphan Pardie
Photo d'une double page d'Alpes Magazine, décembre 2011.
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01/04/2018
Théorie du Complot, l'affaire du collier de Pouchkine
Et si Alexandre Pouchkine n'était pas vraiment mort en duel ?
Pouchkine a mis en scène sa propre mort, après quoi il est allé à Paris, pour devenir le célèbre Alexandre Dumas. Cela semble absurde, mais les auteurs de cette incroyable hypothèse, inédite en France, conduisent des arguments assez convaincants. Pouchkine et Dumas ont presque le même âge: le premier est né en 1799, le second en 1802. Alexander et Alexandre sont très semblables en apparence et intérieurement.
Ces deux écrivains ont des racines africaines. Indigène de la monarchie russe à sa manière, Pouchkine a un arrière grand père noir. Ex-esclave, il devient un proche du Tsar Pierre le Grand, il s'appelle Gannibal.
La petite fille de Pouchkine (@ Fenoweb)
Dumas est l’auteur de Voyages en Russie si dépaysants qu’on ne les imagine guère écrits que par un autochtone et la blessure de Pouchkine à l’issue du duel n'est pas grave, aussi guérirait-il facilement. Les dernières années de la vie d’Alexander sont liées à d'énormes dettes, une disparition opportune le soulagerait, de là à ce qu’il mette en scène son propre décès, il y a un pas qu’en tant qu’exégète, je franchis bravement.
Après sa mort le Tsar Nicolas Ier lui pardonne tout. Pouchkine ne supporterait pas de voir sa gloire littéraire sacrifiée sur l’autel des intérêts d’argent. Les observateurs russes voient dans les styles respectifs des deux écrivains des similitudes frappantes. Ont-ils raison ? Est-ce possible qu’Alexander Pouchkine soit Alexandre Dumas ?
Une incroyable série de coïncidences, une théorie nationaliste fumeuse au service de l’expansionnisme de Poutine, ou encore l’incroyable talent d’un seul écrivain mis au service de deux nations ? Je vous laisse trancher, amie lectrice et amusant lecteur.
19:48 Publié dans Inclassable, Lettres, Nouvelles, récits | Commentaires (0) | | Digg | Facebook |
29/06/2016
Paris au crépuscule
À Arthur Schnitzler
Il descendit de voiture. Il fit les cent pas. La lumière des éclairages publics vacillait dans la petite rue et éclairait à peine La Fontaine Molière, qui s'écoulait dans un mouvement continu. La chaussée n'avait pas encore séché de la pluie de la veille. "C'est curieux pensa Éric, on est à cent pas du palais Royal et nous pourrions nous croire dans quelque ville de province. Nous pourrions jeter des pièces dans la fontaine.Quoi qu'il en soit nous serons à l'abri des curieux et nous ne rencontrerons aucune de ses connaissances."
Il songea à cela en regardant distraitement la devanture de bijoux en argent vendus au poids. Il consulta sa montre : 21 heures. Il faisait nuit noire. L'automne s'épanouissait et puis cette sacrée tempête qui avait fait tomber les tuiles des toits...mais le temps était clément comme s'il était averti de leur rendez-vous.
"Encore une demi-heure", pensa-t-il, près de la fontaine au carrefour. Il observa distinctement les quatre rues par lesquelles elle pouvait venir. Il remonta le col de son trench. " Elle viendra aujourd'hui. Vendredi, réunion du conseil d'administration, elle osera sûrement sortir et pourra même rentrer plus tard que d'habitude"; la sonnerie du bus tinta. Quelques clients du restaurant italien sortaient, il distinguait un piano à l'intérieur. La rue se peupla de touristes élégants prêts à s'étourdir dans les établissements du Premier arrondissement. Mais ils n'entamèrent pas sa tranquillité.
Personne ne fit attention à lui. Soudain, il aperçut une silhouette qui lui parut familière. Il alla vivement à la rencontre de la jeune femme sans voiture. C'était elle. En l'apercevant, elle hâta le pas.
- Tu arrives à pieds?
- J'ai renvoyé la voiture Place Colette. Je crois que le taxi m'a déjà conduite une fois.
Un homme passa et les fixa. Éric le toisa, l'oeil sévère,
- Je suis sûr que tu ne le connais pas. Mon taxi nous attendait, dit-il, suis-moi.
- C'est ton taxi ?
- Oui, si luxueux?
- Nos rendez-vous sont courts, autant que le taxi soit agréable.
Ils rejoignirent la voiture mais le taximan s'était absenté.
- Où donc est-il?
Éric inspecta les environs.
- Seigneur, murmura-t-elle.
- Attends une minute Sweetheart! Il doit être par là.
Il tourna la tête et vit la terrasse du café où le chauffeur était tranquillement attablé.
- Je suis à vous dans une minute. Quelle direction?
- Place de l'Odéon, s'il-vous-plaît.
La jeune femme se blottit dans les bras d'Eric et releva sa capuche.
- Tu ne veux pas me dire "Bonjour"?
- Laisse-moi une minute, je t'en supplie, le temps de reprendre haleine.
La voiture avait atteint la Place de la Concorde et s'engagea sur Le Pont-Neuf. Emma enlaça son amant, ils s'embrassèrent dans le rétroviseur du taxi., les langues faisaient des lacets.
- Et sais-tu depuis quand nous ne nous sommes pas vus?
- Dimanche? Oui, seulement de loin.
- Comment cela? Tu es venue chez nous?
- Oui, chez vous, vraiment, cela ne peut continuer, je ne reviendrai jamais chez vous. Une voiture nous dépasse.
- Du calme, avec la pluie, on ne peut pas nous reconnaître.
- Si, si je les connais. Allons ailleurs je t'en supplie !
- Taxi, nous allons rebrousser chemin, conduisez-nous Place des Vosges, s'il-vous-plaît !
Emma s'accrochait aux poignées...
- Allez moins vite, merci.
- Pas à cette allure, vous avez perdu la raison!
- Excusez-moi, je m'emballe.
- Pourquoi tu n'es pas venue hier? Chez ma sœur? Je croyais tu étais invitée toi-aussi.
-Je ne supporte plus de te voir au milieu de gens. Je veux te voir seule sur un lit...
Elle étendit ses jambes, dont on distinguait à peine les bas de soie blancs.
Le taxi eut l'air de glisser, heurta un trottoir, et zigzagua...
- Ralentissez et reprenez vos esprits, vous êtes épuisé, nous descendons, attendez-nous.
Près du Pavillon de l'Arsenal, les lumières rouges se reflétaient dans l'eau et vacillaient. Les phares des voitures balayaient les quais de Seine.
- Suivez-nous, dit-il au Taxi.
Ils marchaient sur le trottoir.
- Nous devrions partir, partir tout à fait...
- C'est impossible.
- Nous sommes lâches, Emma, voilà pourquoi c'est impossible.
- Et mon fils?
- Il te le laisserait, j'en suis certain.
- Et comment?
- En taxi, immédiatement, viens !
- Non.
- Donc, c'est la dernière fois!
- Quoi donc?
- Que nous nous voyons, reste auprès de lui.
- Parles-tu sérieusement?
- Oui.
-Tu vois, c'est toujours toi qui gâches nos rendez-vous. Et nous irions où si nous partions?
-À Calais, à Douvres, je ne sais pas, en Angleterre.
Ils regardèrent le Taximan.
- à Calais, s'il vous plaît, s'exclama Éric.
Ils s'engouffrèrent dans la voiture et s'embrassèrent. la voiture démarra à pleine vitesse, elle accéléra sur la route détrempée et heurta un panneau signalétique. À cet instant il sembla à Emma que la voiture s'élevait dans l'espace, elle se sentit projetée dans l'air, son corps décrivant une rotation vertigineuse. Elle se retrouva étendue sur le sol. Elle ne voyait rien, sa peur ne fit que croître, car elle ne percevait pas le son de sa voix. Elle comprit tout à coup très distinctement les événements. La voiture avait buté sur quelque chose, une borne sans doute s'était renversée et ils avaient été projetés. "Où est-il lui ? Pensa-t-elle. " Elle ne perçut aucune réponse. Elle essaya de se mettre debout et ne parvint qu'à s'asseoir, ses mains exploraient le sol, à tâtons, et rencontrèrent une masse. Éric était étendu à côté d'elle. Elle allongea le bras, toucha son visage. Quelque chose de chaud et humide coula entre ses doigts. Éric était blême, et le Taximan? pas de réponse.
- Je n'ai aucun mal, pensa-t-elle.
Le chauffeur de Taxi se pencha en titubant et s'agenouilla. Emma était à ses côtés. Il regardait fixement le visage livide. Les paupières ne laissèrent paraître que le blanc des yeux. Un filet de sang ruisselait lentement de la tempe droite. Aucune place pour le doute. Il saisit la tête entre ses deux mains et la souleva.
- Que faites-vous ! s'écria Emma, d'une voix étranglée.
-Mademoiselle, je crois qu'il est arrivé un grand malheur.
Elle prit le chauffeur par le col de de sa chemise.
-Ce n'est pas possible, tu n'es pas blessé ! Ni toi ! Ni moi !...
La tête inerte retomba sur les genoux du taximan. Elle fondit en larmes. Il regarda l'avant de la voiture broyé par le choc.
-Courez, allez, cherchez quelqu'un ! Appelez un véhicule d'urgence !
-Nous ferions mieux d'arrêter une bagnole!
- Non, ce sera peut-être trop tard, oui, trop tard, il nous faut un médecin.
- L'ambulance, le docteur, vous savez, ça ne servira plus !
- Mais dépêchez-vous, bon dieu !
-J'y vais, courage, toute seule.
Emma conserva le visage sur ses genoux, contre un mur, dans l'obscurité.
"Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible,non, ce n'est pas possible se répétait-elle, sans cesse." Un frisson la parcourut, "Quelle idiote, c'est un mort, je suis seule avec un mort, elle prit conscience de l'abandon total dans lequel se trouvait le visage. Elle se raccrocha à la lumière d'un lampadaire, qui n'était qu'un piètre réconfort mais qui avait le mérite d'être là. Ses yeux se brouillèrent, elle les ferma. Puis se redressa comme en sursaut.
Elle imagina le retour du taxi.
- On ne peut pas me trouver là, c'est impossible!
Elle posa la tête délicatement sur le sol. Des voix se firent entendre. Elle écouta tétanisée. Les voix venaient d'une ruelle à droite. Ce sont deux femmes, trois peut-être qui ont aperçu la voiture. Les yeux du mort s'agrandissent, il veut la garder en son pouvoir...la voilà partie, elle marche puis court sur la route, en retenant sa robe pour ne pas tomber, détale, fuit. Elle voit passer une ambulance de premier secours, elle sait bien où ils vont, elle les suit des yeux, se retourne, et continue à courir, elle a un mari, un fils, non on ne peut pas la trouver là. L'accident, c'est la fin de l'anneau de Gyges. Elle hèle un taxi, elle n'aspire qu'à rentrer chez elle. Le retour est interminable. Paris défile, puis elle passe le boulevard des maréchaux et croise des prostituées, la voilà loin, hors de Paris. La sonnette retentit, elle entend la femme de chambre qui ouvre la porte, elle entend la voix de son mari, incline sa tête, sa robe est maculée de sang. Elle sent que le moment est venue d'être forte, elle se dirige vers la salle à manger et y entre au même instant que son époux. Dans la lumière tamisée.
-Ah, tu es déjà rentrée !
-Mais oui, depuis longtemps.
-Apparemment, on ne t'a pas vu arriver, le petit boude dans sa chambre. Elle sourit d'un air très naturel, mais se sent épuisée. Elle n'entend plus rien. Et voit ....qui ouvre les yeux avec l'aide des secours. "S'il vit, s'il a repris connaissance ?"
-Qu'as tu ? Son mari se lève, l'air grave.
-Quoi, comment?
-Mais enfin qu'est-ce que tu as? Tu allais t'endormir et tu as poussé un cri.
Elle considère son propre visage déformé dans la glace. Deux mains se posent sur ses épaules.
" Il ne se vengera pas, il est mort, et les morts se taisent."
-Pourquoi dis-tu cela? Elle regarde son mari épouvantée. Il lui semble qu'elle vient de tout raconter à haute voix.
-Qu'ai-je dit alors?
Son mari articule lentement "Les morts se taisent".
-Oui, dit-elle, oui.
C'est sa dernière épreuve. Elle sait qu'elle a perdu. Dans ses yeux, elle lit qu'elle n'a plus rien à lui cacher.
-Va coucher le petit, et tu as quelque chose à me dire.
Elle sait que dans l'instant qui va suivre , elle dira toute la vérité à un homme qu'elle a trompé depuis de longues années. Et un calme immense l'envahit. Elle sourit à son fils.
13:07 Publié dans Nouvelles, récits | Commentaires (0) | Tags : arthur schnitzler, les morts se taisent, nouvelle, accident, adultère | | Digg | Facebook |
24/10/2015
Mission Démission. Le Démissionneur à gages, Antoine Lefranc
Inaugurer une collection est toujours un petit défi et c'est à Antoine Lefranc que les éditions Lilo se sont adressées, pour ouvrir leur catalogue de nouvelles, uniques et grand format intitulées "Momentanés".
Une seule nouvelle, 70 pages et un format d'habitude davantage réservé aux revues de sciences humaines qu'à Pouchkine, Ludmila Oulitchkaia, Mérimée ou Laurent Nicolas.
Antoine s'en acquitte avec talent, dans ce récit court, qui se déroule dans le monde impitoyable de l'entreprise. Le héros, si je puis dire, s'acquitte avec virtuosité de ses missions spéciales, dont nous ne dévoilerons pas l'objet, jusqu'au jour où la promesse d'un visage remet en cause sa vocation. Son histoire piquante fait parfois songer à l'acidité d'Amélie Nothomb dans Stupeur et Tremblements.Son écriture simple et blanche va droit au but et la qualité majeure du texte d'Antoine réside dans la limpidité de sa progression narrative.
Son originalité donne envie d'une adaptation cinématographique. Alors avis aux amateurs !
21:59 Publié dans Actualité, Nouvelles, récits | Commentaires (0) | Tags : antoine lefranc, démissionneur, démission, milieu de travail, amélie nothomb, scénario | | Digg | Facebook |
19/07/2015
Action Vérité
Amandine n'avait pu réprimer une grimace de dégoût. Elliot avait un bec de lièvre qui entravait son élocution. Une partie de son visage était tâché comme s'il avait été brûlé vif. Cette rencontre l'avait d'autant plus surprise que sa silhouette bondissante ne laissait pas présager une telle monstruosité. Au fil des jours elle avait appris à l'aimer, sa drôlerie, sa façon de danser époustouflante. Ses cheveux longs cachaient des yeux gris. Elle les avait oubliés et ce fut après la disparition qu'elle s'en rappela. Elliot se volatilisa comme une ombre quand le soleil apparaît. Elle ne lui avait auparavant jamais posé de questions. Elle préférait lui tenir la main. Il disparut un jour de neige, sans emporter de bagage. Au beau milieu des sapins et des guirlandes en aluminium.
Chaque matin, au réveil, elle imaginait son retour. C'était devenu un rituel matinal au même titre que le café ou l'eau froide sur le visage. Elle se le représentait avec une barbe de plusieurs jours, il la prenait dans ses bras, ne lui donnait aucune explication et finissait sa vie avec elle, sur un tapis en duvet, au pied d'une cheminée, avec des enfants qui courent derrière les canapés. Mais chaque jour la maison était vide, la journée s'écoulait sans lui. Il avait bel et bien disparu, sans l'embrasser. La gendarmerie n'attacha aucune importance à ce qui ressemblait à une fugue ou à un départ volontaire.
Aucune dispute n'avait précédé son départ.
Aucune mésentente.
Aucun conflit.
Amandine était certaine que l'affection d'Elliot le dévorerait comme au premier jour et qu'il n'oublierait jamais les yeux ronds, les boucles, le visage d'angelot de sa compagne et le poids des ans sur leur amour.
Trois mois s'écoulèrent. La pelouse verdissait.
Il revint et lui offrit une marguerite. Elle le reçut comme dans ses songeries matinales sans lui poser de questions. Il ne lui donna aucune explication, jusqu'au jour où, un croissant à la main, il lui raconta tout. Elle avait toujours cru qu'il était fils unique. Or son frère vivait en Suisse, dans un chalet, atteint également d'une malformation génétique et avait décidé de passer sa vie à l'abri des regards. Il l'avait découvert blême, allongé sur son lit, sans médicament. En le voyant, Elliot s’était lancé : "J'ai voyagé pour te dire que l'amour existe, que je l'ai rencontré, il y a dix ans, et que tu peux sortir de ta cachette." Son frère était blanc comme un linge, mais Elliot sentit qu'à ces mots ses yeux pétillaient.
Amandine vola dans les bras d'Elliot et la tasse de café se renversa sur les cuisses du malheureux.
21:47 Publié dans Nouvelles, récits | Commentaires (0) | Tags : monstre, amour, littérature | | Digg | Facebook |
08/06/2015
Pour obtenir le Prix Femina
Afin d'obtenir le Femina ou le Prix de Flore, votre serviteur vous a concocté un superbe pitch de roman, libre de droits. Faites-vous plaisir.
Pitch de roman, façon grande littérature française
Paul parle à la première personne, il a vécu un chagrin d'amour terrible, dont il se rappelle les fulgurances sexuelles, racontées en gros plan et avec des mots crus. Extrêmement affecté par cette séparation, il s'intéresse au mouvement anti-mariage pour tous, collectionne les casques de la Wehrmacht, et s'inscrit à l'association "Les nouveaux Pétainistes" pour lutter contre la création dans les régions françaises de micro-califats. Il garde de son expérience de trader la haine d'un monde superficiel gouverné par le marketing, la publicité et le pognon, mais se rappelle avec fascination de ce moment où il prenait de la coke et où les filles étaient faciles. Sa dépression s'accentue lorsque sa sœur, qu'il déteste, séquestrée 10 ans dans une cave en Autriche est libérée et vient vivre chez lui. Sa misanthropie s'accroît. Il décide de ressortir de son tiroir, toutes les lettres de rupture odieuses qu'il a envoyées à ses ex, quand il était Trader et qu'il prenait plaisir à les humilier. Il devient scientologue et sa sœur tombe d'un avion, mais survit car elle a les cartilages mous. Sa femme Lucienne a pour passe-temps de recopier à la main des articles de Wikipedia, un jour elle tombe sur la biographie d'une critique d'Art un peu vulgaire qu'elle a déjà croisée en club échangiste avec Paul, c'est un déclic : elle abandonne Paul et se lance dans des installations d'Arte Povera avec des spaghettis.Paul cherche à réussir son suicide. Il erre dans le Quartier latin et se souvient du jazz dans les caves et de son premier amour. Le Quartier latin devient un personnage à part entière du livre. L'aimant autour duquel tout gravite. Le lecteur croise Sartre, Beauvoir et Marc Édouard Nabe jeune au détour de la Rue Bonaparte. Un soir de Beuverie Paul déprimé et passablement éméché lance à un habitué des Trois Maillets : "Je vais te faire courir moi sale PD!" S'ensuit une altercation violente : Paul sort son couteau à cran d'arrêt et tue le garçon de 25 ans à peine. Le lendemain il s'enfuit en Colombie, où il deviendra, sous l'identité d'Arturo éleveur d'autruches. À Versailles, Lucienne installe ses toiles dans la galerie des glaces.
21:10 Publié dans Inclassable, Nouvelles, récits | Commentaires (2) | | Digg | Facebook |
21/10/2014
Les deux livres de l'automne
"Observer les faiblesses humaines, la physiologie du pouvoir, la fragilité des relations, l'inconsistance des liens, la force colossale de l'argent et de la férocité. L'impuissance absolue de tous les enseignements mettant en valeur la beauté et la justice, ceux dont je me suis nourri."
Roberto Saviano - Extra pure - Éditions Gallimard
"Et surtout, comprenez que mon cœur est déjà pris. Il l’est depuis fort longtemps maintenant. Pris par la mer. Pris par le port vieux comme moi qui m’attache. Par le ciel bleu flamboyant dont la Vierge culminante me garde. Pris par les hommes, les femmes, les enfants, qui s’arc-boutent dans mes criques et sur ma basilique."
Caroline Capossela - Les Amuse-gueules - Editions Lilo
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06/04/2014
Bout d'essai
La jeune femme derrière le paravent lui souriait toujours, elle essayait des soutiens-gorge, il l'avait deviné en surprenant sa conversation. Sa meilleure amie ratissait le rayon pour lui proposer de nouveaux modèles. De dentelle ou de coton brodé. Il ne vit que ses yeux et la commissure des lèvres lorsqu'elle leva la tête au dessus du panneau de bois. Mais ses fossettes se plissaient si bien qu'il percevait son sourire. Lui feignit de choisir des cravates mais aurait été bien en peine de devoir les essayer, il ne bénéficiait ni de techniques de nouage, ni de dextérité, ni de sens pratique.Le sourire ne lui était peut-être pas destiné. Un singe facétieux et planqué derrière le paravent se livrait-il à des chatouillis? Les yeux de la jeune femme s'arrondissaient, les sourcils se relevaient, la commissure babillait.
20:37 Publié dans Nouvelles, récits | Commentaires (3) | | Digg | Facebook |
27/11/2013
Sortie le 14 décembre 2013. Avant le petit Jésus.
16:35 Publié dans Actualité, Nouvelles, récits | Commentaires (0) | Tags : recueil de nouvelles, nouvelles, arsinoé, stéphan pardie, lilo, laurent nicolas | | Digg | Facebook |
18/11/2013
L'Ecume, la Mer et la Confiture de Groseilles
Interview à propos de mon premier recueil de nouvelles , L'Ecume, la Mer et la Confiture de groseilles, à sortir le 14 décembre. Trois heures à savourer.
Nuit off de Laurent Nicolas.
Aux côtés de Soem (chanteuse), en live !
Jad et Aurélien (émission TV Paris parle, un extrait ci-dessous, Paris parle d'amour.
Si vous aimez leurs interviews, pour en savoir plus ...
http://soem.over-blog.net/
http://www.youtube.com/user/ParisParle?feature=watch
Enjoy!
22:00 Publié dans Actualité, Nouvelles, récits | Commentaires (0) | Tags : nuit off, soem, laurent nicolas, paris parle, l''écume, la mer, groseille, groseilles | | Digg | Facebook |
22/10/2013
Ha ! L'inspiration !
Pour prolonger le plaisir de la dédicace, une photo par Benoît Pinaud et le reportage De Paris parle avec une séquence culte, cette jeune femme qui garde ...mais voyez plutôt.
18:43 Publié dans Actualité, Cinéma, télévision, Nouvelles, récits | Commentaires (0) | Tags : paris parle, dédicace, histoires d'amour, lilo, pardie | | Digg | Facebook |
04/10/2013
Sortie le 12 octobre 2013
Vous êtes cordialement invités au siège des Editions Lilo pour le lancement.
Lecture, dédicaces, rencontres avec les auteurs,
le samedi 12 Octobre
De 15h à 20h30.
A l'atelier Moreau - 12 rue Moreau - 75012 Paris - Metro bastille ou Ledru Rollin -
11:19 Publié dans Nouvelles, récits | Commentaires (0) | Tags : histoires d'amour; lancement, lilo, caroline capossela, virginie sallé, laurent nicolas, anais valente, di mattia francesca, bundita | | Digg | Facebook |
14/09/2013
Cadeau de rentrée
S.Bundita nous fait l'amitié d'un court extrait en langue originale. Merci à lui.
This is a brief extract of my first novel, wich should be translated in french, maybe in the upcoming months.
"I remember men who discussed in the kitchen with my mother, when we were supposed to sleep, my sister and I, in our room covered with pictures of Brezhnev.
Today in the English pub in north London, I have liberty to consider how our childhood was happy. Every morning, our grandfather passed kissing and drop pretzels, cheese, and sausages for our return from school. He asked us, after removing his glasses if we had slept well. We oftenly did not answer. "The night was good, guy?" Then he was waiting for us outside on a wall, feet soaking in the Dniester, to accompany us to the place dedicated to education of young pioneers.
We took the road, surrounded by vineyards, smiling at him. And his gracious presence dissipated contingencies."
Spiridon Bundita Touloupe, 2004
Je m'attelle à la traduction de cet écrivain. Des sueurs froides, un vrai plaisir à débuter comme traducteur.
Deux liens d'articles passionnants sur le blog Malaxi.net
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18:02 Publié dans Nouvelles, récits | Commentaires (2) | Tags : bundita, moldavie, anglais, short-story, littérature | | Digg | Facebook |
28/03/2013
Rock and roll and girls
"It's true, I'm kind of retarded. But I'm also kind of amazing", Hank Moody
Valentine remonta son tee-shirt.
- J’ai mangé comme une truie ! Et voilà ! Trois jours sans baise !
Elle montra son ventre.
-En même temps, je n’ai rien à me mettre sous la dent.
Elle remarqua son petit neveu.
- Oh ! Un enfant !...
Elle avait les cheveux en vrac et sautillait.
- Je suis une roller-girl, je suis une roller-girl.
- En tout cas t’as pas oublié ta planche à conneries, remarqua le bassiste.
Avec sa moustache, il se prenait pour Stanley Clarke. Il avait des visions et était persuadé que sa veste ouverte aérait ses poils. « Ils sentent les bonnes vibrations, tu sais il ne faut pas les brusquer, ils entendent tout. » Ce soir, le groupe devrait éviter l’amateurisme. La répétition était sur le point de commencer et Serge, torse nu, se pencha sur sa gratte, mais une bourrasque ouvrit la porte. Une grande brune. Il leva les yeux vers le trench-coat à boutons noirs.
- Je suis ta fille ! vociféra-t- elle.
Un ange passa. Les membres du groupe posèrent leurs bières.
Valentine se tourna vers sa batteuse et lui souffla : «Tu crois que c’est vrai ?
- Impossible, avec son nez, elle ressemble à Sollers, c’est pas une musicos.
Serge était rouge comme du Tabasco.
- Suivez-moi Mademoiselle, nous allons discuter de cela dehors.
Il devenait subitement courtois.
Valentine tenta de détendre l’atmosphère.
- Mademoiselle ? Connard ! C’est un mot sexiste !
Il prit la longue brune par la main.
- Regarde-le, il va nous laisser en plan, tu le crois ça ?
- Plus rien ne m’étonne, déjà que c’est pas du premier choix…
- T’as raison, je préférais encore l’autre con qu’est parti se recueillir à Menphis.
- Menphis ? Tu parles, il est allé voir sa pute, oui !
Elle aperçut son petit neveu.
- Oh ! Un enfant !...
Sophie alla chercher du miel pour s’adoucir la voix. Ce soir, le groupe se produisait à l’Elysée Montmartre, du sérieux. Il fallait espérer que le père caché revienne. Elles n’attendirent pas longtemps. Un coup de vent ouvrit la porte, il était de retour.
- C’est une amie qui voulait me faire une blague…
Ses joues n’étaient plus empourprées par la honte.
Il était pâlichon.
- Alors, t’es prêt Oliver Twist ? clama Valentine.
Sa batteuse pouffa.
- Ne te moque pas, ce n’est pas lui l’orphelin.
Il quitta la pièce précipitamment. Son estomac se nouait comme un nid de serpents.
Il vomit dans les toilettes sous le poster à moustache de Janis Joplin. Il releva la tête en se demandant qui avait bien pu graffiter le cliché. Puis il replongea la tête dans la cuvette pour cracher de la bile. Il se redressa en tentant de se souvenir du prénom de la copine de Janis, c’est vrai que Janis était bisexuelle. Puis il s’inclina définitivement. Il régurgitait de l’eau.
Pendant la répétition, Valentine avait l’impression d’être la Reine des abeilles. Tout le monde s’affairait autour d’elle. Elle était allongée sur son vieux canapé orange. Short noirs, bas clairs, talons azur, Sophie moquait sa sexitude. Elle tournait autour avec son mobile, pour prendre des photos accablantes. Toute la ruche bourdonnait sous les yeux émerveillés du petit neveu qui sentait confusément qu’il était au bon moment au bon endroit.
Serge, revint tout blanc avec un air d’apiculteur allergique. Il ne daigna participer que pour faire des références inaudibles à Stanley Clarke. Et se pencher sur les partoches fut une tannée.
Valentine travaillait une version féminine de « Whisky bar » qui présentait des risques d’implosion.
Sous la fenêtre l’eau de la fontaine jaillissait à gros bouillons. Les voitures longeaient les immeubles. Dans l’une des vitrines brillait un costume de Samourai.
Tout à coup, elle bondit hors du canapé, fiévreuse, excédée par le retard de sa podologue, car avant le concert, il n’eût pas fallu déroger au rituel superstitieux du massage orthopédique. Serge misait également sur la podologue pour résorber le début de panari dans ses santiags offertes, il y a des lustres, par Les Chaussettes noires.
Sonia, la choriste, une grande black aux cheveux dressés comme des canisses, rappela la pédicure.
Elle arrivait. Elle frappait à la porte. Elle était là.
Valentine ne lui dit pas bonjour.
- Tu as pensé à ce que je t’ai demandé ?...
La podologue sortit une seringue.
- Je te pique dans le mollet comme d’habitude ?
- Oui, avec mes cuissardes on ne verra rien.
Après l’intervention, la podologue demanda à Valentine comment elle se sentait.
Pour toute réponse, elle lui roula une pelle.
- Wonderwoman.
19 heures.
Tout ce petit monde prit son matériel sous le bras pour le déposer dans le 4x4 Vitara de Serge, près d’un bar. Un voiturier regardait Sonia bizarrement. Elle s’interrogea.
Serge lui suggéra de ne pas s’inquiéter. Serge était au jus.
- Il a cru que tu lui faisais des avances, c’est un club échangiste.
Les yeux de Sonia s’arrondirent.
- Y a pas de honte, Madonna y fête son anniversaire.
La fumée du 4x4 ne laissait aucune chance aux cyclistes. Lorsqu’ils arrivèrent à l’Elysée Montmartre, ils découvrirent une sorte de hangar lugubre, plein de poussière.
- C’est pour le retrait de marchandises ? demanda Sophie.
- Non, c’est là qu’on chante.
Le premier titre fut un succès, des filles aux cheveux bouclés, tatouées et à demi-nues se déhanchaient mais une spectatrice ne regardait pas Serge comme les autres. Il recula de deux pas. Sa tête heurta un stroboscope. Une heure plus tard, quand il passa un scanner, il songea à sa lâcheté. Valentine, Sophie, Sonia l’accompagnèrent. Elles terminèrent leur nuit aux urgences et firent les yeux doux aux internes. Mais ils n’avaient pas le temps.
Avec Serge dans le coma, nous sommes vraiment un Girls band.
03:15 Publié dans Nouvelles, récits | Commentaires (0) | Tags : littérature, nouvelle, girls, filles, rock, stanley clark, janis joplin | | Digg | Facebook |
05/02/2013
Sigsu - I
Au bord d'un lac, dans une cabane de bric et de broc, de cagettes et de palettes, d'escaliers et d'escaliers, vivait un troll, plus petit que la moyenne des trolls, du moins nous semblait-il comme tel, lorsqu'il allait cueillir des baies de cranberrys avec ses copains velus de tous les coins de la région pour la grande cueillette. C'était le seul jour de l'année où Sigsu abandonnait la sensation d'angoisse qui, le reste du temps, lui valait de rester cloîtré, avec des livres de grandes découvertes , de voyages dans la lune et de combats héroïques. Sigsu avait ouvert une sorte de meurtrière afin de voir l'extérieur sans être vu, car il guettait les dangers qui pouvaient surprendre son foyer. Dans la pièce dévolue à ce dispositif, il avait aménagé une réserve de jus de fruits et les sirotait à l'affût du moindre mouvement que son œil avisé de troll remarquerait puisque le monde extérieur depuis des temps immémoriaux n'était pas voué à l'immobilité. Les saisons changent, les truites remontent les rivières, les feuilles tombent, il gèle. Tout bouge sous l'étrange carapace du monde.
Sachez que l'oeil des trolls, outre la possibilité de scrutation latérale a une portée de cinq kilomètres ce qui permettait au guetteur de saisir tous les mouvements humains aux alentours et bien souvent de les trouver fort suspects.
Sigsu avait deux petits : l'un blond, ébouriffé et de mauvaise humeur le matin, qui s'appelait Mol et l'autre brun, forêt de cheveux, de grands yeux en amande, qui s'appelait Nil. L'un dormait sur une paillasse, l'autre dormait sur une paillasse, et il était difficile de distinguer les cheveux de Mol de la paille de son matelas. C'était une des blagues favorites de Nil de s'exclamer :
"Oh! Mol! Je ne vois plus tes cheveux, tu les as perdus pendant la nuit?"
Mol sautait alors rageusement sur les épaules de Nil avec la ferme intention de le projeter contre la commode en bois sculpté de papa troll et de se débarrasser de ces facéties matinales, qui perturbaient son réveil déjà douloureux et rendaient plus incertaine l'éventualité d'un sourire. Nil était plutôt rêveur.Il s'endormait à table, surtout au petit déjeuner après avoir transporté son frère sur son dos. Ses cheveux noirs s'éparpillaient alors sur les restes de gâteau à la carotte. La maman troll dont son cadet avait hérité la blondeur scandinave avait donc bien à faire, car dès que paraissait l'Aurore aux doigts de framboises Sigsu courait dans son réduit veiller à ce que quelque ours ne vienne pas souffler sur la cabane.
Les deux petits affreux prenaient alors leur bain dans un lavoir rempli de pommes, car ombragé par plusieurs arbres fruitiers. Nil ragaillardi, se hissait sur la pointe des pieds et et se laissait aller à déposer un bisou dans le cou de maman troll, avant de replonger et de s'attaquer à son cadet à grands coups de branches de pommiers.
22:57 Publié dans Nouvelles, récits | Commentaires (0) | | Digg | Facebook |
06/12/2012
La troisième partie de la première séance
La blondeur de Bérénice était radicale, elle m'a pris la main, j'étais aux anges. Nous sommes rentrés dans la salle. Elle était organisée en gradins étroits, sans siège. recouverts de coussins. En fait, nous participions à une pyjama partie. Seuls. Voilà ma Bérénice sur des courtepointes, j'ai fait de grands yeux, elle s'est mise à me lancer des poufs, j'ai refait de grands yeux et j'ai saisi un édredon, me suis levé et l'ai lancé en poussant des cris comme un ours. Bérénice, c'était mon pot de miel et elle s'est cachée derrière un boîtier d'extincteur, je ne voyais plus que ses jambes. Les gambettes du pot de miel.
Puis j'ai reçu des plumes sur la tête. Sur l'écran passait une pub d'assurances. Moi on ne dirait pas mais je suis calé en Kusturica, chez lui les ours, ils mangent les bretzels et ouvrent les portes en les arrachant. Et je crois qu'ils prennent des bains de pommes. Je sais que le rêve secret de Bérénice c'est de prendre des bains de pommes avec moi, ou de se métamorphoser en pot de miel, mais elle ne le sait pas encore. C'est le problème avec les filles, à force de ne rien leur dire elle ne nous disent rien, mais pour nous lancer des polochons, y a du monde.
Je me suis livré à corps perdu dans cette pyjama partie, car j'avais l'intuition qu'au regard de mon histoire elle se transformait en moment magique. Et que le temps figeait les plumes en poussières de bonheur, notre bataille en éternelle dispute adolescente. Le moment serait gravé dans notre petite tête de moineau.
Le cinéma ne serait jamais au delà de ça, du plaisir d'une salle exclusive et de l'amitié débordante. Elle m'a tendu son paquet de mini carambars que j'ai accepté. Puis d'autres spectateurs ont eu l' idée incongrue de s'installer dans la salle.
Le nom du film "La Nuit juste avant les tisanes" s'est reflèté sur le décolleté de Bérénice.
23:41 Publié dans Cinéma, télévision, Nouvelles, récits | Commentaires (4) | Tags : cinéma, art et essai, bérénice, séance, littérature | | Digg | Facebook |