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21/11/2012

La deuxième partie de la première séance (suite)

Bérénice préférait voir "La nuit juste avant les tisanes", l'histoire d'une cultivatrice kirghize qui accouche seule, dans son champ.Bérénice des idées baroques. Elle aime se balader à Bruxelles et lit Cioran. Cioran, ça a l'air tellement triste, que quand je vois Bérénice qui le lit, je pleure, rien qu'a l'idée qu'elle le lise, je ne veux pas que Cioran fasse du mal à Bérénice, je lui aurais bien dit mes quatre vérités, mais il est mort..le crétin.

Nous sommes donc entrés dans le cinéma si-indépendant-qu'il-est- marginal, moi, je me laissais guider je regardais Bérénice, mon écran noir à moi, Bérénice a un bonnet de laine, des cheveux blonds, qui descendent en torsades, sous le couvre-chef et juste ça  c'est le générique de début de Bérénice parce que après, sa taille ravissante ressemble à une liane , et son short, indicible, un short indicible. Berenice s'est retournée et m'a souri.

Elle n'est pas très bavarde, elle s'est fixé une règle, jamais plus de trois mots! Je la connais parce que je suis malin. La règle du mystère. Trois mots. Miss, terre, rieuse. Même si on lui chatouille les pieds avec des chamallows, elle ne parlera pas, car il y va de sa capacité de séduction, et la capacité de séduction chez une fille, c'est sacré, comme le soleil chez les Mayas ou la planche de surf au Pays Basque. Les campeurs mangent dessus. 

À maline, malin et demi. Du coup ce jour-là je ne parlais plus, je la suivais, j'étais muet, j'étais mutique, j'étais mythique, et pour couronner le tout,cerise sur le générique, elle avait des talons hauts qui claquaient sur le parquet du café, au milieu des photos d'exploitation. Vous vous dites que je me fais des idées, que je fanfaronne, je ne vous mens pas mais je vais être honnête, Bérénice n'est pas ma petite amie, c'est une copine, mais je la verrais bien comme ma petite amie qui parlerait italien couramment et qui serait hyper cultivée en cinéma, tellement cultivée, genre silence ça pousse. 

J'étais décidé à passer à la vitesse supérieure, mais avec ce film Kirghize sur les tisanes, et ma stratégie du mutisme cela  ne facilitait pas le contact!  Ha oui, j'ai oublié de vous le dire mais je suis brun. Ainsi nous avions à nous deux trois mots de vocabulaire pour nourrir la conversation. Silence ça pousse. 

16/11/2012

La première séance

J’ai eu de la chance. Je n’ai même pas eu à l’inviter, Bérénice m’a trainé voir un film d’art et d’essai, (soupirs trois fois) c’est sûr qu’avec un nom comme ça elle allait pas me proposer de voler des bagnoles. Ni une, ni deux, je mets ma plus belle chemise, avec des surpiqures qui brillent, façon Brodeback montain, sans le cheval, mais avec Bérénice et nous voilà dans une ruelle étroite, ringarde à côté d’un magasin de pelotes de laine. En face du cinéma indépendant, mais je dois vous faire une confidence, il était pas indépendant, il était pire. Il était tellement indépendant qu’il était marginal. Il était tellement noir qu’au début j’ai cru que c’était un magasin de téléphonie pour appeler en Syrie avec des cartes prépayées, mais j’ai levé les yeux et avec Béré on a vu les affiches.


Deux films. Deux chefs d’œuvre.

Un film grec « La laitière ne passera pas trois fois »
Dessous y avait des extraits de journaux pour nous donner envie de le voir.
Télérama, « On rit, on pleure, on boit du petit lait »

Oui je sais, j’ai trouvé que c’était un peu limite comme jeu de mots, c’est pas mon genre. Moi j’aime l’humour fin, l’humour qui fait réfléchir.

Technikart, vous savez, c’est un gros magazine avec que des mots nouveaux dedans comme "métrosexuelle", "drum and bass", "cougar"
Donc Technikart ils avaient mis « Un film grec tellement intelligent qu’il fait tourner le yaourt » Et ils concluaient Vous allez être brassé »

Bérénice de toute façon, elle avait choisi avant de venir.

17/10/2012

Cultissime

Victoria Lit Bordel made In China, et Stéphan Pardie sur Direct 8, pour les couche-tard.

Où l'auteur croit savoir pourquoi le Musée des Arts asiatiques est plein de nénettes


http://www.d8.tv/video/Q2t2aDNC/12-10-victoria-lit-bordel-made-in-china-part-10/

10/06/2012

Buon giorno

Scaramouche se disait "ce garçon n'est pas franc, cette fille est une menteuse", aussi décida-t-il de se réfugier dans son arbre.

Il y installa un cellier pour stocker flacons et réserves de patés, fort de cette autosuffisance, il passa son dimanche à dormir, indifférent au tictac du pic-vert.

Et il vous souhaite une bonne journée.

05/05/2012

Bleu acier (1ère partie)

 

        Ethan se glissa entre deux entrepôts, dont l’interstice lumineux lui indiquait la direction du port. Il ne voyait rien, si ce n’est en baissant la tête quelques oranges qui roulaient sur le sol. Ses pas s’aimantaient au reflet moiré de l’eau et aux sirènes des porte-conteneurs.  Il jeta un œil derrière lui et vit la colline de Haïfa plongeant vers la mer. Il avait du mal à imaginer que Haïfa ait pu être une étendue d’oliviers avant de devenir cette friche industrielle posée sur l’eau comme un rail rouillé. Il dépassa un entrepôt de chaussures, puis un local réfrigéré de fruits et légumes. Il marchait, avec la nonchalance d’un promeneur qui profite de chaque instant. Les porte-conteneurs  lui paraissaient d’inquiétantes créatures d’acier, surmontées de grues rouges et son regard peinait à embrasser l’immensité de leur surface de portage. Il cherchait un bar pour y dérouler sa fin d’après-midi. La chaleur s’emparait de lui et  la reflection de l’eau, loin de véhiculer l’air du large, figeait chacun de ses gestes dans une éternité ensoleillée. Chaque mouvement lui coûtait et accentuait son désir de s’asseoir sur une chaise.

 

     Il était évident, en balayant l’ensemble des installations portuaires, que les hommes se laissaient happer  par une volonté de saccager la Méditerranée, du moins Ethan le pensait-il en se baladant dans cette décharge à ciel ouvert, vidée de présence humaine à l’exception de quelques marins effrontés, qui sautaient de leur pont dans des flaques d’huile peut-être pour impressionner des navigatrices du dimanche, aux boucles brunes qui se déroulaient dans leur dos nu comme un tapis d’algues,  et faisaient virevolter leur hors-bord dans le port avant de partir se balader en mer. C’était sans doute une manière de leur dire bonjour et de braver la saleté du quotidien dans des sauts héroïques, qui n’avaient pour seul mérite que de justifier à leurs yeux d’avoir mis un pied devant l’autre ce matin-là. Il les apercevait s’élançant dans un ballet rythmé, droits comme des citrons, avant de disparaître dans l’eau noirâtre pour mieux ressortir, fierrots en agitant la main. Mais toute cette ferraille lui donnait mal au cœur, ces carcasses, ces voyages sans âmes, ces soupirs sans amour. Ethan longeait désormais la mer, qui toute souillée qu’elle était de la fièvre du commerce, matérialisée par ces bateaux charrettes pleins à ras bord, toute souillée, conservait malgré tout cette bleuité d’innocence qui réveille les âmes fatigués de Joseph Conrad. Car la mer resterait le rêve d’immensité, malgré le village global, et l’uniformisation des cultures et le tout est dans tout et réciproquement. Elle serait toujours ce qui nous sépare de l’autre, de nos futures amours, de la fille qu’on aime, des enfants qui ont grandi, des rêves déchus.

 

       Les oranges roulaient à ses pieds, c’était plutôt pas mal comme fin d’après-midi. Il trouva enfin un bar digne de ce nom avec des vrais marins dedans sans bérets à pompons. Il allait pouvoir se soûler jusqu’à la nuit tombée. Et pourquoi, lorsqu’il ne s’y attendrait plus, ne rentrerait-il pas avec une fille perdue sous le bras, cigarettes et ptites pépées. Ethan rêvait tout éveillé, aussi avait-il l’air un peu con quand il poussa la porte du bar. Il y aurait des chaises. L’établissement était tenu par deux cinquantenaires, disharmoniques, l’un parlait fort et vulgairement, l’autre n’arrivait pas à articuler un mot comme s’il avait eu une extinction de voix que l’imagination romanesque d’Ethan attribua sans ciller à un cancer des poumons. Le goût des maladies chez l’homme est inné un peu comme la marche, un baiser ou des frites. Dans le rade, enfumé en diable, ce qui corroborait l’hypothèse d’Ethan, qui lui valait  de s’adresser au barman avec une sorte de pitié de circonstance, dans le rade étaient épinglés un portrait de Che Guévara, d’Oum Kalsoum, des photos du Sinaï, et des affiches géantes du Galatasarai. ce qui lui donna idée de commander un café turc, pour vérifier la raison obscure de ces amitiés ottomanes. Le café se révéla plein de marc, mais trompa sa solitude. Force était de constater que river ses yeux au fond de tasse constituait un début d’occupation. L’aphone toussa.                

 

                                                                                               ....

29/03/2012

Confession

Le garçon songeait à elle, à ses jolies jambes.

Il s'approcha du confessionnal. Il avait de l'appréhension et ne faisait pas le malin. Le soleil baignait les hautes herbes. Il se hissa à l'intérieur. La vue était magnifique sur les collines. Il tourna timidement la tête. Il y avait quelqu'un. Il prit sa respiration comme s'il allait manger une glace. Il se lança.

"Elle est belle, elle a une robe bleue, nous nous sommes embrassés...

- Mais qu'est-ce que tu me racontes? Ce n'est pas un péché! Allez file!"

Le garçon se laissa glisser, faillit se rompre le cou, et disparut dans les champs.

26/01/2012

En librairie le 19 janvier 2012, à l'occasion de l'Année du dragon

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08/01/2012

Humour et télépathie

Il avait passé la journée à s'esclaffer, comme s'il avait aspiré du gaz hilarant ou reçu un email en Latin. Hector s'était plutôt habitué au silence de sa correspondante. "Le mutisme c'est plus chic", lui avait-elle confié au téléphone, dans un moment d'égarement. Et la boîte aux lettres du jeune homme était aussi immaculée que les neiges éternelles du Fujyama. Pourtant, quelquefois, elle daignait lui envoyer un poème mystérieux aux rythmes alanguis. Avec des amants et des portes ouvertes. Il le lisait sur sa terrasse

Comment diable taille-t-on un cerisier japonais? Où allait-il le mettre? Deux mètres-dix de haut. Il lui écrivait tous les jours, avec la régularité de métronome d'un détenu de Fleury Mérogis. Elle ne lui répondait jamais, avec la détermination des filles entêtées. Et puis un beau matin la cage s'était ouverte, elle lui avait envoyé un cadeau.

Mais il y avait à redire. La garce !

Pour écrire sa lettre de remerciements, il s'était plongé trois heures dans un dictionnaire d'horticulture. Le "Prunus Cerulata, Cerisier japonais, variété pleureur, produit de délicieuses fleurs roses et blanches, mais ne supporte qu'une taille douce au risque de ne plus avoir que les feuilles pour pleurer". Son balcon grenoblois était désormais accaparé par le végétal en question, ce qui réduisait considérablement l'espace vital d'Hector, mais le désarroi était réciproque. Pas vraiment dans son milieu naturel, le cerisier risquait de dépérir inexorablement, en songeant au mouvement immuable de la Sumidagawa. Tout le génie de la lettre résidait donc dans la dissimulation de son ignorance absolue des principes généraux d'arboriculture. Et de s'extasier devant la générosité du cadeau, et de feindre la connaissance des bourgeons, et de vanter l'harmonie merveilleuse qui régit le monde végétal et les relations entre les êtres.

Et puis il s'était remis à parcourir en bougonnant le livre de jardinage. Il regrettait désormais les effets de manche épistolaires qui avaient conduit à ce fiasco. Cette idée saugrenue de la séduire par l'évocation élégiaque de la verdure grenobloise, et de la vigne vierge qu'il tentait laborieusement de tailler, lui qui avait déjà bien du mal à tondre la pelouse. Elle l'avait pris au mot. Et les filles ont cela de drôle qu'elles font les terre-à-terre. "Oh donne-moi la main, courons au bord de la rivière, moi aussi j'aime faire des ricochets!"

Les lendemains furent joyeux, il constata jour après jour la décrépitude du cerisier. Et chaque matin il riait à s'en tenir les côtes.
Il savait que par un jeu mystérieux d'ondes, les yeux de la généreuse correspondante brillaient de malice en prenant son Benco.

 

28/12/2011

Extrait de nouvelle

"La neige reposait tel un masque d'algues blanc sur les jardins à la française. La fontaine ronde gelée brillait comme un single des Stones en 1972. Yasmina déambulait les pieds dans ses moonboots, sa poussette Mac Laren dans une main, et Kimberley avec son bonnet pointu dans l'autre. L'hiver les installations artistiques disparaissaient, ce qui rendait à la place son classicisme, tant il est vrai que l'angoisse étreint parfois le promeneur devant certaines incongruités commanditées par le Ministère tout proche et qui bousculent la beauté hiératique du Palais Royal."

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                                                                                        Copyright Stéphan Pardie

21/12/2011

Quatre à quatre

Rue de Ponthieu, il ya des grands noirs qui jouent au loto avec des valises diplomatiques. Rue de Ponthieu, il y a des bureaux qui ont appartenu à Francis le Belge.  Avec des boitiers usagers qui ressemblent à des détonateurs.

 

Je n'ai pas envie que mes héroïnes ressemblent à Anna Karina, je n'ai pas envie que mes héroïnes ressemblent à Claude Jade, je n'ai pas envie qu'elles ressemblent à Françoise Dorléac, je ne veux que des filles maquillées, artificielles et sans conversation.

 

Trois comme les rois mages, les doigts de la main. Bref elles sont trois.  Lisa habite une rue orientée vers l'Est et adore la sensation du soleil qui réveille son visage, à huit heures du matin quand elle se dirige à tâtons, les yeux dans la lumière, vers la station la plus proche.  Elle passe devant une épicerie dont la devanture est illisible. Elle aime la fatigue oculaire du soleil. Le soleil, c’est gratuit.

 

Lisa veut un homme, un vrai.

 

Lisa, lorsqu'elle plonge son visage dans l'eau fraîche du lavabo, elle entend des aéroplanes. Les pandas aiment les hautes branches; mais pas les vols planés, alors, elle lève les yeux et fait une mine de déterrée, comme si on avait volé les ailes de l'Ange Gabriel. «  On devrait jeter les aviateurs au trou » répète-t-elle,en boucle.

 

Viviane a l’allure d’une rose de Bretagne et vit dans un pavillon de banlieue  où elle aime respirer. La pelouse est moche, la pelouse est jaune, mais elle sent bon. Elle l’arrache et la jette en l’air. Viviane lit.

 

« Encore un bouquin féministe ! » s'écrie Charline. »

Charline passe son temps à la piscine avec son grand chapeau plat. On la prend pour une américaine.

 

Les trois filles décident de braquer une banque parce qu'elles ont été licenciées. Quand on est licencié on ne fait plus de shopping, et quand on ne fait plus de shopping, on laisse le shopping aux grosses nulles qui ont mauvais goût.

 

- Et la chocolaterie ? suggère Viviane. Une chocolaterie?

Viviane lit trop. Viviane s'endort avec des sorcières rousses et Scott Fitsgerald qui fait du baise-main.

 

Les « pandas roux », c'est leur nom parce qu'elles se réveillent toujours à onze heures du matin.

 

Ajoutez une heure de maquillage, parce que c'est pas le genre à dévaliser une bijouterie en pyjama. 

 

Charline joue avec ses bouclettes et en regardant ses copines comme si elles avaient inventé l’eau tiède. Charline a des chapeaux noirs, comme dans les films français expérimentaux.

« Tu connais le coup de la pomme? »

 

Rue de Ponthieu, il y a des dealers de cocaïne, de grandes brunes avec trois couches d'autobronzant, une sandwicherie kasher et des salades à 15 euros.

 

Des acteurs doublent un film d’animation. Soyez sympas, rembobinez. La ville grouille d’activités incongrues. Soyez sympas, rembobinez. La ville grouille d’activités étonnantes. Tiens, je n’avais pas entendu ça.

 

Elles enfilent des collants sur la tête.

 

Rue de Ponthieu, il y a des faux-cils, des faux seins, des faux airs et des fausses montres.

28/09/2011

Reste-t-il du mascara?

 

 

Souvent lorsque je m’allonge auprès de la cheminée pour goûter aux plaisirs de l’hiver, ma bien-aimée lève ses yeux ronds écarquillés, sur ses pommettes, vers moi, et sous ses boucles blondes entortillées, m’interpelle : «  Te rappelles-tu, Stephan, des ocres de Sienne ? » ; Et tandis que mes paupières tombent, cette courte phrase ne me quitte pas : « Te- rappelles-tu, Stephan, des ocres de Sienne ? » Avons-nous assez d’imagination pour recréer des couleurs ? Ou sommes-nous condamnés à reprendre la route de Sienne ?

J’ai cherché longtemps une réponse. Songez que lorsqu’une personne disparaît, son timbre de voix est le premier à nous quitter. Enregistrons la voix des personnes aimées.

 

            Je bois un café noir, Piazza del Duomo. Sa mousse brunâtre laisse une trace sur les rebords de la tasse. Les passants sont rares à sept heures du matin. L’un d’eux, un chapeau de paille sur la tête a des airs de propriétaire terrien. La terre est encore féconde en Toscane, aussi verticale que ses arbres centenaires. Mon esprit divague et quelques pigeons voltigent devant les blocs de marbre blancs alternés de bandes sombres. La construction de l’édifice fut interrompue par la grande peste du XIVème  siècle, qui décima la ville. Le bâtiment gigantesque n’est donc plus que l’immense transept de l’Eglise primitive. La nef d’une blancheur d’albâtre ne vit jamais le jour…

 

             Ainsi prit fin le rêve d’innocence.

           

            Je décide de quitter la place. Quelques enfants tentent de saisir des pigeons. Les nuages éclairés en contre-jour prennent un aspect argenté. Je déambule dans les rues longues et étroites comme des tables de banquets. La phrase me fait frissonner. Les réverbères dans l’ombre matinale semblent des pendus aux gibets. Sienne est un écrin, cerné de Cyprès, vallonné de vignes, étouffé de chaleur toscane. Je croise un porche sous lequel Casanova a passé une nuit. On l’imagine vieillissant, avec sa canne, au détour d’une auberge. Les rues descendent comme dans un précipice. Aucun linge ne sèche sur les fenêtres de Sienne. La cité n’est pas miséreuse comme les villes du Sud et du Golfe de Naples, où les maisons sans crépi laissent un goût d’inachevé. Pas de volcan non plus. Tout est calme. Un vieillard assis sur une rambarde devant le Battistero fume une cigarette. Est-il dans le secret des couleurs ?

 

            Il me décrit d’une voix claire l’Hôpital Santa Maria Della Scala, les saignées effectuées au Moyen Age dans les services d’urgence, la volonté des édiles siennois d’en faire un établissement de pointe. « Les infirmiers devaient se laver les mains, les lits en bois étaient interdits pour lutter contre les acariens. » Mais l’hôpital a dû sa richesse à la peste et aux héritages nombreux qui s’ensuivirent. Sienne est une ville bâtie sur des cendres, sur les cadavres brûlés pour freiner l’épidémie. L’un des derniers à mourir dans le bâtiment, avant qu’il ne devienne un monument historique, fut Italo Calvino, l’auteur facétieux du Baron perché. Mais la beauté de Sienne n’est pas guillerette, elle est empreinte d’élégance. Les chevaux tombés, sur la Piazza del Campo, en forme de coquillage, lors de courses frénétiques, ont recouvert le sol, les portes et les murailles de sang séché.

 

            La toscane est volubile mais se tait entre 13 heures et 18 heures pour laisser à la ville son raffinement silencieux. Sienne est un monastère, ouvert sur des vignes qui naissent et meurent sur ses terres rocailleuses. Le soleil s’abat sur les visiteurs et les laisse exsangues sans volonté comme un lézard dont le seul désir est de profiter des rayons  brûlants. Nul n’ose percer son secret. Si sa place en coquillage est unique, et ne sacrifie pas au plan des villes romaines, la cité demeure une perle régulière. Rien n’est baroque à Sienne. Nul ne sait ce qui se passe dans les arrière-cours des castellari, ces hôtels particuliers que la bourgeoisie  a désormais investis.

           

            A quoi bon réformer la beauté. Elle est au rendez-vous nacrée d’ocre, et muette. Au couchant, il n’est pas rare de rencontrer  un frison ayant appartenu aux Médicis : il galope seul sur la Piazza, avant de s’engouffrer dans une ruelle, sa robe empourprée par le crépuscule. On raconte que lorsqu’une fille s’amourache d’un Siennois, elle passe déposer une branche d’olivier sur sa fenêtre. Si un moineau se pose sur le rameau, le garçon l’épouse. Les Siennois sont des plaisantins, cependant ils ont une conscience aigue de la splendeur de leur ville. On ne doit pas rire avec elle.

 

            Rassure-toi cependant, lectrice, l’époque où du poison était fabriqué dans des arrière-salles est désormais révolue ; mais les touristes sont des vampires, ils sucent l’âme des villes qu’ils visitent. Cette âme  se dissipe comme un parfum.

           

            La carte postale, l’odieuse, reste épinglée aux murs.

 

05/09/2011

Cumulonimbus

Vous avez deux ans et vous montez comme un petit singe sur le siège en velours. Vous prenez appui et vous vous hissez sur la pointe des pieds, vos petites mains s'agrippent à la lucarne ronde. Vous fixez des masses blanches. Vos pupilles s'élargissent, grossissent, voisinent l'explosion comme une cerise dans une centrifugeuse. Puis vous fermez les paupières. Les tissus blancs qui flottent dans le ciel vous éblouissent et une affreuse dame avec un couvre-chef veut vous attacher au siège.

Vous poussez un cri d'effroi, mais elle résiste. Elle ne vous laisse pas le choix. Vous tournez la tête vers le hublot : vous boudez dans les éponges blanches.

Plus tard, au détour d'une oeillade, vous découvrez qu'elle sert de la grenadine à tout le monde et pas à vous. Vous criez de plus belle parce que l'affreuse dame au chapeau est méchante et parce que les éponges blanches vous aveuglent. Vous avez mal aux oreilles. Soudain vous prenez sur vous. Vous séchez vos larmes, mais vous ne comprenez pas pourquoi votre frère se porte comme un charme. Enfin si, il boit une grenadine.

Même pas mal. Vous, vous avez les éponges blanches.

07/05/2011

La cigarette

Le trentième étage, il y a un avantage à habiter au trentième étage : le bruit des voitures se dissipe dans l'air. On dispose de cinq ascenseurs. Et leurs hauts-parleurs diffusent une musique rassurante. Si l'on ne les aime pas, utiliser la montée d'escalier équivaut à une heure de fitness. L'altitude dégage une vraie poésie urbaine. On ne doit pas laisser tomber une bouteille par la fenêtre, car cela ressemble à une tentative d'assassinat. Les travaux de copropriété sont collectifs. Vraiment collectifs. Il y a des avantages à habiter au trentième étage : on n'oublie pas le pain quand on fait les courses, le parking souterrain de l'immeuble est grand, et le bâtiment n'a pas été dessiné par votre cousin architecte, qui débute.

Il y a un art de vivre qui va avec l'altitude : on boit du Sauterne, le sol est recouvert de moquette, sinon on ne s'entend plus. Le Home cinéma pallie à l'absence de sortie générée par la réticence à quitter l'appartement. La salle de bain est en marbre, comme l'ascenseur, et l'on cuisine des assortiments de légumes. Il y a des vrais bonheurs à habiter au trentième étage : regarder les entrelacs de voies rapides, les tunnels, les pancartes, les travaux, qui ressemblent à des pistes de ski. On est seul au monde quand on fume une cigarette au trentième étage, en observant les embouteillages.

Souvent Vincent s'allonge sur le sol et regarde les traînées de lumière laissées au plafond par les phares des voitures, peinture abstraite de circulation. Il s'abandonne aux reflets pailletés qui vont et viennent. Il n'y a rien à voir que la multiplicité de réverbérations du monde urbain. Chaque soir vers 22h15, une trace plus claire s'inscrit. Il est persuadé idiotement que c'est une fille qui l'attend au carrefour. Il essaie de distinguer sa chevelure dans les dessins du plafond. Elle est blonde comme des feux de brouillard. Elle n'aime pas les tunnels de la Défense car elle les trouve anonymes. Il connaît ses goûts : elle boit du jus de pamplemousse et s'entraîne sur des Power Plates. Vincent pense à tout cela en prenant son café à la fenêtre. Les invités n'osent pas vous dire qu'ils ont le vertige. Elle porte souvent des robes noires et un décolleté rebondi et affolant.


On se fait des idées quand on habite au trentième étage.

05/01/2011

Où est le Tarama?

  

Sur la plage blanche (oui, l'histoire se passe en Mer Baltique), il y a des Suédoises qui pique-niquent. 

 

 
La neige recouvre le rivage et Romain Gary les observe, les doigts de pieds en éventail, en mangeant du concombre salé. Mais qui voit-il ?

 

Elle a les cheveux courts, un tee-shirt à l'effigie d'un journal. Elle se promène sur la plage, en criant " New York Herald Tribune ! New York Herald Tribune !" Ne serait-ce pas... non ce n'est pas elle !

 

Déçu.

  

D'un coup, il apprécie beaucoup moins son concombre salé. Elle est passée si vite. 

 

 Il a appris des rudiments de suédois, avec sa mère, à Nice, alors il perçoit quelques mots de la conversation. On parle du Lac Vanern, de la légende de Gosta Berling, de pasteurs et de messes de minuit.

 

 

À Stockholm, des patineurs se dandinent -les Suédois étaient déjà très sportifs à l'époque. Romain a toujours du mal avec le patin. Ce n'est pas un sport de résistant, ni d'ambassadeur. Alors il mange encore du concombre salé. Et s'imagine sur une plage à Ramatuelle, avec sa mère qui l'entraîne dans ses pérégrinations, pour distribuer des bijoux. Si, si, elle a été bijoutière ! Ramatuelle à l'époque n'accueillait que quelques Russes, qui délaissaient le Négresco. (Si, si, sa mère a travaillé au Négresco !)

 

Il ouvre les yeux et revient à lui devant un étale de gâteau à la carotte.

 

 

 

Non, ce n'est pas elle.  Elle est passée si vite.

20/12/2010

On a tué la marchande de fleurs.


…à Covent garden, le marchand de citrouilles s’énerve : Eliza doolittle disparaît trop souvent pour prendre des cours de diction. « The rain in Spain stills mainly in the plain » qu’elle répète à l’envie, l’agace, l’énerve, lui tape sur le système. Et il la préfére avec son accent cockney. Le maraîcher déteste ses nouvelles manières de la haute. Pour qui se prend-elle ?  La frimousse n’est qu’une fleuriste.

Alors demain matin, il zigouillera Elisa Doolittle, la découpera en morceaux et la glissera entre deux courges.

 

Et tant pis s’il traîne un cadavre devant Saint-Paul’s Church.

25/04/2024

Le noceur était presque parfait.

Arthur m’avait confié qu’il voulait commettre un attentat contre l’institution du mariage…


- Mais tu ne vas pas bien ? C’est la ménopause ?


- Tu ne peux pas comprendre, m’avait-il répondu en ajustant une mèche.


- D’abord, on ne fomente pas un attentat contre une institution !


- Ben dis donc, heureusement que nous ne sommes pas en dictature…sinon faudrait pas compter sur toi…


Cette remarque fut sans lendemain.


 


Les années avait passé et il s’était laissé convaincre par Ludivine, une brune sexy en diable, de se marier, de faire une belle fête en Camargue. C’était surtout le côté « Réception de l’Ambassadeur » qui lui plaisait…  Il voulait une pyramide de Rochers Ferrero, des enfants qui jouent entre les canaux, un feu de camp, des filles en robes courtes, un orchestre gitan et des trompettes, une baignade dans la mer en fin de repas, des roseaux. Un feu d’Artifice au dessus de l’usine des Salins du midi et la pièce montée. Le sel sur la peau de la mariée…


 


Ludivine avait une robe cristaux de sel. Il avait envie de la prendre là sur l’autel de l’Eglise minuscule des Saintes-Maries. Ou entre deux caravanes, bercés par le bruit du ressac. La danseuse de Flamenco entama ses pas sur le parvis tandis qu’une pluie de riz complet attendait les  convives. Des grains de riz batifolèrent dans son costume et s’insinuèrent dans le jupon de Ludivine. Ses éclats de rire s’envolaient. Il l’aimait. Il y avait elle, l’eau et la vie. Ils coururent vers la voiture, une Mini pavoisée de blanc et entreprirent en riant de rejoindre la Mairie d’Arles. Ludivine conduisait. Il ouvrit la porte, sauta de la voiture et finit défiguré dans une manade.